MAI-68 VU DE L'ÉTRANGER (dir. M. Vaïsse)
Si le quarantième anniversaire des « événements » de 1968 a donné lieu à de très nombreuses publications ou manifestations scientifiques en France, force est de constater que celles-ci n'ont guère considéré cet épisode de contestation politique et sociale au-delà des frontières hexagonales. Souvent soulignée, la quasi-simultanéité des mouvements français, allemand, britannique, nord-américain ou encore brésilien n'a jamais fait l'objet de véritables travaux comparatistes, susceptibles de mettre en lumière les phénomènes de circulation internationale des discours et des pratiques contestataires, les répertoires d'action communs à la jeunesse de la fin des années 1960 ou les regards portés de l'extérieur sur les différentes crises nationales. C'est à cette nouvelle perspective qu'invite l'ouvrage (éd. du C.N.R.S., Paris) dirigé par Maurice Vaïsse, professeur d'histoire à Sciences Po, qui propose un recueil consistant de notes, dépêches et télégrammes adressés au ministère des Affaires étrangères par les représentants diplomatiques à l'étranger et témoignant des réactions internationales vis-à-vis des événements français de mai 1968.
Trois séquences chronologiques bien distinctes ressortent à la lecture des documents réunis. Tout d'abord, la période comprise entre l'émergence du mouvement étudiant à l'université de Nanterre (le 22 mars) et le début du mois de mai 1968 n'est presque pas représentée : sans doute l'opinion internationale n'accorde-t-elle qu'une importance relative à une révolte étudiante dont la France n'a pas le monopole et qui, surtout, pourrait faire des émules si elle était trop médiatisée. Seules les manifestations de soutien aux étudiants français, organisées dans de nombreuses villes étrangères au nom de la solidarité révolutionnaire, attirent l'attention des diplomates : ainsi, en République fédérale d'Allemagne où le consulat et l'Institut français de Francfort-sur-le-Main sont envahis le 6 mai par des membres de l'Union socialiste allemande des étudiants. Ce n'est qu'après la nuit des barricades (10-11 mai) que l'activité diplomatique s'intensifie, lorsque la mobilisation ouvrière puis la grève générale semblent faire vaciller le gouvernement Pompidou. Dès lors, les événements français font l'objet d'une attention extrême partout dans le monde et suscitent des réactions contrastées. Les uns constatent avec effroi les menaces semblant peser sur la République française : c'est, par exemple, le cas en Afrique noire et au Moyen-Orient, où les pays arabes craignent qu'une chute du régime gaulliste n'entraîne un changement radical de la politique française dans la région. D'autres, au contraire, se réjouissent plus ou moins explicitement des difficultés rencontrées par le général de Gaulle. Tandis que l'on célèbre à Pékin le « juste combat » mené en France par les étudiants et les ouvriers et que l'on dénonce la férocité de la répression, Charles Lucet, ambassadeur à Washington, constate que certains organes de presse nord-américains regardent avec ironie cette France si prompte à donner des leçons aux autres, mais incapable de répondre aux demandes de ses jeunes générations. Un dernier temps s'ouvre avec l'allocution radiophonique du général de Gaulle, le 30 mai, annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale, la reprise progressive du travail et les élections législatives des 23 et 30 juin : unanimement, les documents diplomatiques restituent les messages officiels de soulagement et de félicitations adressés à la France – et au général de Gaulle en particulier – par les gouvernements étrangers. Rares sont alors ceux qui, à l'instar de François Seydoux en poste à Bonn, tentent de dresser le bilan d'une crise sociale et politique dont les effets sur les échanges commerciaux et sur la politique[...]
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Écrit par
- Olivier COMPAGNON : professeur d'histoire contemporaine, université Sorbonne nouvelle, Institut des hautes études de l'Amérique latine
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