MAI-68
Un mouvement social d'ampleur
Le chef de l'État tient d'abord les incidents du quartier Latin pour un problème d'ordre public, à traiter comme tel. Cette approche s'infléchit après que Georges Pompidou l'a convaincu de jouer l'apaisement. La réouverture de la Sorbonne, effective le 13, est cependant trop tardive pour désamorcer un mouvement en plein essor. Dans la nuit du 13, les étudiants occupent la Sorbonne puis la plupart des universités et l'Odéon, devenus autant de forums où la parole se libère. Des comités de toutes sortes se multiplient. La réforme et l'utopie se confondent (« Prenons nos désirs pour des réalités ») tandis que le marxisme, le situationnisme et la pensée libertaire s'affirment et se combinent sur des modes inédits.
Dès le 14, les occupations s'étendent à certaines usines (Sud Aviation, Renault Cléon). Le 16, la C.G.T. et la C.F.D.T. poussent, chacune à leur manière, à amplifier l'action sans appel explicite à la grève générale. La grève avec occupation des locaux se généralise, réactivant la mémoire de 1936, son esthétique, ses pratiques et le mythe de la grève générale. Le mouvement est sensiblement plus ample et plus complexe qu'en 1936 puisqu'il s'étend au secteur public et à l'encadrement. Dans les entreprises dépourvues de syndicats, notamment chez Citröen, il permet de poser et de résoudre des problèmes résolus ailleurs depuis 1936. Dans les bastions cégétistes du secteur public, elle permet à des revendications rejetées depuis des mois d'être enfin acceptées. Dans certains secteurs de pointe où la C.F.D.T. prédomine prévalent les thèmes autogestionnaires. Les journalistes de l'O.R.T.F. se battent pour la liberté d'information. L'enseignement secondaire et le monde agricole se mobilisent également.
Contestation et occupations s'étendent à la plupart des structures d'encadrement en n'épargnant ni les Églises ni les associations, des fédérations sportives aux parents d'élèves en passant par le mouvement familial... Les ordres d'architectes, de médecins, d'avocats sont également touchés. Les festivals de Cannes et d'Avignon sont mis à mal. Les slogans fleurissent – « Il est interdit d'interdire », « Soyez réalistes, demandez l'impossible », « L'imagination prend le pouvoir », etc. –, où s'affirment des aspirations à vivre autrement, glissant souvent à l'hédonisme : « Jouissons sans entrave », « Sous les pavés la plage ».
Cette généralisation de la contestation pose bientôt la question de la crise et de sa nature. S'agit-il d'un seul mouvement dont tous s'essaient, alors, à définir le principe unifiant et à s'approprier le leadership ou de mouvements disjoints dont les manifestions conflictuelles déployées à Paris révèlent les contradictions ? La grève se résume-t-elle à un mouvement revendicatif ? Constitue-t-elle une modalité nouvelle du politique ? Dessine-t-elle une perspective autogestionnaire (C.F.D.T.) ? S'agit-il d'une « grève insurrectionnelle » (U.N.E.F.-P.S.U. : « Le pouvoir est dans la rue » ? D'une « grève de masse », susceptible d'engager le pays dans la voie d'une mutation politique profonde en hâtant la ratification d'un programme commun d'Union de la gauche (C.G.T. et P.C.F.) ? Autant de questions dont les réponses conditionnent bientôt les attitudes face à d'éventuelles négociations.
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Écrit par
- Danielle TARTAKOWSKY : professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-VIII
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