MAIGRET (P. Leconte)
« C’est lui ! C’est lui ! », se serait exclamé Georges Simenon devant Michel Simon interprétant le rôle du commissaire Maigret dans un court fragment de Brelan d’as (Henri Verneuil, 1952). Ce n’était pas la première fois que l’écrivain réagissait aux incarnations cinématographiques de son personnage, et ce ne sera pas la dernière. Selon lui, Pierre Renoir dans La Nuit du carrefour (1932, Jean Renoir) était déjà « l’incarnation idéale ». Et de Jean Gabin, qui endossera le rôle trois fois – Maigret tend un piège, Jean Delannoy, 1958 ; Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, Jean Delannoy, 1959 ; Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963 –, il dira à nouveau « […] je ne vais plus pouvoir voir Maigret que sous les traits de Gabin ». Or, aucun de ces trois acteurs ne correspond à la description physique que l’auteur donne de son personnage. Fidèle en cela à la tradition, si l’on s’en tient à cette même description, le Maigret de Patrice Leconte, interprété par Gérard Depardieu, apparaît tout aussi éloigné du modèle.
Les visages de Maigret
On tient généralement Pierre Renoir pour le premier Maigret du cinéma. Mais, cette même année 1932, dès juillet (La Nuit du carrefour était sorti en avril), on pouvait en voir un deuxième : le corpulent et plus âgé Abel Tarride dans Le Chien jaune, réalisé par son fils Jean Tarride, une interprétation plus théâtrale, aujourd’hui tombée dans l’oubli. Quelques mois plus tard, en février 1933, Maigret prenait les traits de Harry Baur dans La Tête d’un homme de Julien Duvivier. Si un culte s’est développé autour de La Nuit du carrefour à cause de la signature de Jean Renoir, et cela malgré une intrigue incohérente, La Tête d’un homme reste, en revanche, sous-évalué. Le film de Duvivier bousculait sciemment l’intrigue, notamment en révélant d’emblée le nom du coupable et en déplaçant astucieusement le mystère : il ne s’agit pas tant ici de savoir qui a tué, mais de savoir pourquoi et comment l’assassin va être démasqué. Cette modification est tout autre qu’un détail et laisse la part belle au commissaire incarné par Harry Baur : monumental et fatigué en même temps, bon et impitoyable, il annonce très exactement, par la stature, la démarche, la gestuelle parfois ralentie, l’interprétation saisissante que Gérard Depardieu donnera du commissaire dans l’adaptation de Maigret et la jeune morte (1954), sobrement intitulée Maigret.Notons que Patrice Leconte est non seulement un admirateur de l’écrivain Simenon, mais aussi du cinéaste Duvivier : en 1989 n’avait-il pas déjà signé Monsieur Hire, une saisissante adaptation des Fiançailles de M. Hire, magistralement porté à l’écran en 1946 par Duvivier sous le titre Panique ?
S’il y eut de nombreuses adaptations cinématographiques à travers le monde, ce sont deux versions télévisées qui ont laissé une trace profonde dans le public français. Tout d’abord, Jean Richard dans une longue série de 88 épisodes (1967-1990) conçue par Claude Barma. Les « classiques » y étaient adaptés, certains plutôt deux fois qu’une. Ainsi de La Tête d’un homme, Le Chien jaune, Cécile est morte ou La Nuit du carrefour. Puis, Bruno Cremer prit la relève dans le rôle de Maigret pour 54 enquêtes (1991-2005), réalisées parfois par des cinéastes notables, comme Claude Goretta ou Laurent Heynemann. Dans cette deuxième série, l’accent est mis sur l’atmosphère, les seconds rôles sont en général bien campés, le tempo prend son temps et l’interprétation, magistrale, suggère toutes les nuances du personnage du commissaire. À ce jour, à propos de Bruno Cremer, on peut se risquer à dire à nouveau : « Maigret, c’est lui. » L’approche de Leconte et Depardieu, tant dans le rythme, le choix des décors, voire celui du chromatisme où le sombre et le métallique dominent, doit autant à cette version télévisée qu’à[...]
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
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