MAIGRET (P. Leconte)
Un double deuil
Autre interprétation à laquelle le tandem Leconte-Depardieu fait référence, celle de Jean Gabin : bien que ce dernier soit éloigné de la description du Maigret de Simenon, certaines constantes de notre immense acteur rencontrent à merveille les traits du personnage. Mme Maigret y apparaît (Jeanne Boitel), et l’on n’a aucun mal à croire que le commissaire rentre chez lui pour savourer les petits plats qu’elle confectionne et écouter les conseils qu’elle lui prodigue. Leconte et Depardieu donnent à cette figure essentielle, parfois escamotée, toute son importance et confient son interprétation à un visage peu connu (Anne Loiret), qui la campe avec autorité et compassion, devenant un élément essentiel de l’implication du commissaire dans l’enquête sur la jeune morte.
L’intrigue de Maigret comporte bien des points communs avec celle de Maigret tend un piège : l’affrontement du commissaire avec une épouse complaisante (Annie Girardot là, Mélanie Bernier ici), une mère riche et castratrice (Lucienne Bogaert, puis Aurore Clément) et un godelureau protégé par son rang social (Jean Desailly, Pierre Moure). On ne sait pourquoi, le roman Maigret et la jeune morte n’avait jusqu’ici jamais été adapté ni au cinéma ni à la télévision. Est-ce parce qu’il s’agit d’un des récits qui met le plus à nu l’intimité du commissaire en établissant un parallèle entre l’enquête en cours et le deuil difficile de Maigret et sa femme pour leur propre fille ? C’est cette intimité, sans doute, qui autorise Patrice Leconte à intituler tout simplement son film Maigret. L’enquête autour de la disparition d’une jeune femme circule dans différentes sphères sociales, elle recrée avec beaucoup de réalisme le milieu du cinéma français des années 1950 et surtout elle scrute comment les péripéties de l’enquête frappent un Maigret taciturne et pachydermique, qui laisse deviner son émoi dans la douleur du regard, la difficulté de la démarche ou, plus directement, dans la bonhomie qu’il manifeste envers certains témoins. Une interprétation rare qui vient à point rappeler que, quand il le veut, Gérard Depardieu est bien un de nos plus grands comédiens.
Cette réussite du cinéaste et de l’acteur s’inscrit dans une véritable tradition cinématographique française qui, malgré ses mouvements de résistance ou de révolte, ne peut échapper à son atavisme. Certains peuvent regretter cet attachement au passé, mais on peut aussi savourer son plaisir et s’en féliciter.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
Positif
Classification