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MAÎTRE DE LA VUE DE SAINTE-GUDULE (actif entre 1470 et 1490)

Parmi les nombreux anonymes de la peinture flamande du xve siècle, le Maître de la Vue de Sainte-Gudule est un des artistes les plus caractéristiques. C'est la présence de l'église bruxelloise de Sainte-Gudule, à l'arrière-plan de son tableau de base, l'Instruction pastorale (Louvre), qui lui a donné sa dénomination. On doit à Friedländer le mérite d'avoir rassemblé les principales œuvres et dégagé (à partir de 1923-1926) les caractéristiques de ce suiveur peu conventionnel de Rogier van der Weyden, bien reconnaissable et très savoureux dans sa volonté, parfois maladroite, d'expression extravagante et de renouvellement des thèmes. Sa typologie outrée et souvent burlesque, son goût des déformations et des gesticulations qui va jusqu'aux convulsions, les petits visages juvéniles et moqueurs au menton pointu et rond bien caractéristique et aux lèvres tordues, l'expressivité des mains, ses insistantes recherches spatiales qui s'affichent notamment dans l'importance accordée aux architectures (qui sont le plus souvent des églises bruxelloises : Sainte-Gudule, Notre-Dame-du-Sablon, ce qui indique son lieu d'activité) ont un mérite incontestable : ils montrent un artiste insolite et original qui cherche courageusement à s'affranchir de la dignité des grands modèles antérieurs (Weyden, Memling, Van der Goes), à réagir contre un certain académisme trop parfait et, par là même sclérosant, qui marque la peinture flamande de la seconde moitié du xve siècle et sa spécialisation traditionnelle dans le tableau de piété et de dévotion. Les voies sont ainsi ouvertes à un nouvel expressionnisme qui correspond peut-être à une profonde inclination des habitants du Brabant où fleurit, à la même époque, une sculpture tourmentée à souhait, et les rapports sont notables entre le Maître de la Vue de Sainte-Gudule et les ateliers de sculpteurs bruxellois (collaboration aux volets du retable de La Passion de Geel). Mais a dû jouer aussi l'influence du monde germanique, car l'on peut relever beaucoup de ressemblances entre le maître bruxellois et le graveur allemand E. S., qui mettent en jeu le même graphisme aigu presque provocant. C'est cet expressionnisme libérateur et libéré du gothique tardif qui culminera un peu plus tard, vers 1500-1520, dans les créations des virtuoses et prodigues maniéristes anversois, puis dans l'atelier bruxellois de Bernard van Orley. La réaction antiacadémique et anticonventionnelle qui s'amorce avec le Maître de Sainte-Gudule (et avec un autre artiste bruxellois, le Maître de la Légende de sainte Barbe) n'en est donc que plus intéressante à observer. Ses œuvres, bien aisées à reconnaître à cause de l'évidence du style, ne sont pas rares : on connaît de lui, en dehors de la fameuse Instruction du Louvre, La Résurrection (musée des Arts décoratifs, Paris), un fragment d'une Présentation au Temple, une Annonciation et un Mariage de la Vierge (Bruxelles) ; on peut ajouter à cela La Vierge et l'Enfant (musée diocésain de Liège), Le Mariage de la Vierge (musée épiscopal de Haarlem), Tête d'homme (Londres) et Vêtir ceux qui sont nus (dans la collection Thyssen à Madrid, avec un très fin paysage urbain), tableau qui, dans la même série des Œuvres de miséricorde, fait pendant à une autre œuvre conservée au musée de Cluny à Paris.

— Jacques FOUCART

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Écrit par

  • : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre

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