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MAÎTRES DE SAGESSE (Grèce antique)

Mythe et savoir

Jusqu'à Platon, en effet, le terme sophía peut recevoir n'importe quel contenu dans la mesure où la sophía n'est, dans le monde sensible, liée à aucun contenu particulier. Être sophós, dans ce contexte, c'est dominer son activité, se dominer soi-même et dominer les autres ; voilà pourquoi peuvent être déclarés sophoí le charpentier, le pilote de navire, le médecin, le devin et surtout le poète, que Platon, non sans raison d'ailleurs, considère comme celui qui transmet les fondements de cette « civilisation », de cette « culture ». Estimant que le poète s'adonne essentiellement à l'« imitation » (mímèsis), qui lui permet de représenter dans le discours qu'il compose toutes sortes d'activités comme s'il en était lui-même le promoteur, Platon fait d'Homère l'« instituteur » de la Grèce, l'autorité suprême dans le domaine des techniques, des lois et même de la vertu (République X, 606e-607a). L'analyse platonicienne est trop partiale et beaucoup trop systématique pour pouvoir être admise sans réserves. Il n'en reste pas moins que, pour la majorité des Grecs de cette époque, Homère surtout mais aussi les autres poètes étaient considérés comme les maîtres de ce discours, le mythe, qui assurait la transmission du mémorable.

À partir du milieu du ve siècle, les sophistes, qui utilisent cette technique discursive nouvelle à laquelle on donne le nom de « rhétorique », vont disputer aux poètes l'honneur de transmettre ce savoir universel : sophistēs, on le sait, dérive de sophós. Voilà en tout cas comment Platon voit les choses (République X, 600c-e). Allant de ville en ville, et faisant payer souvent fort cher leur enseignement très étroitement lié à la technique oratoire, ces nouveaux maîtres du discours vont parfois rencontrer un succès considérable, qu'explique l'ambition politique animant certains de leurs élèves. Parmi eux, Protagoras, Gorgias, Prodicos de Céos, et Hippias. C'est lui que Platon décrit avec tant de vivacité dans le Petit Hippias, et qui représente le mieux l'idéal du savoir encyclopédique. Né à Élis, vers le milieu du ve siècle avant J.-C., il avait pu acquérir presque toutes les connaissances techniques de son temps. Un jour qu'il était venu à Olympie, il expliqua aux badauds qu'il ne portait sur lui rien qui ne fût l'œuvre de ses mains : manteau, tunique, ceinture, chaussures, bague, cachet, burette à huile, étrille ; qu'il apportait des poèmes ressortissant à tous les genres ; qu'il s'y entendait mieux que personne en musique, en grammaire et en une multitude d'autres techniques ; et qu'il se faisait surtout honneur de la mnémotechnie. Maniant la rhétorique avec une redoutable efficacité, il excellait à faire valoir ses dons naturels et les acquisitions de son esprit. C'est certainement cette facilité à manier le discours qui explique non seulement les missions dont ses concitoyens l'avaient chargé à titre d'ambassadeur, mais aussi la fortune qu'il avait réussi à amasser.

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