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MAL

Le mal comme défi à la raison

Mythologies et poétiques ne sauraient donc être rejetées hors de la pensée, puisque le langage de l'imaginaire cache et révèle un métalangage, qui vient d'être sommairement déchiffré et qui formule le problème dans sa rigueur abstraite ; le mal sous toutes ses formes, malheur irréparable, crime inexpiable, contradiction des valeurs, fatalité de la mort qui – summum jus et summa injuria – égalise toutes les inégalités, ce mal ne devrait pas être, et cependant il ravage l'existence. La philosophie, dont la fonction est d'assumer puis de dissoudre, si elles sont de faux problèmes, ou de résoudre, si elles sont de vraies questions, les antinomies de l'existence humaine, et de remplir cette tâche par les seules ressources de la raison humaine, n'a pas manqué de s'éprouver elle-même en affrontant les antinomies que soulève la réalité du mal. Les doctrines sont multiples selon les âges et les cultures, mais les techniques de solution – du stoïcisme à l'hégélianisme en passant par le rationalisme des théologies classiques – relèvent partout des mêmes démarches fondamentales et du même type de discours : à partir d'une proposition majeure, considérée comme évidence première et qui identifie l'être et le bien, ce discours situe le mal par rapport au bien, en fait un moyen ou un moment dans le déploiement d'un être qui en lui-même est valeur, et, à force de relativiser et d'exténuer le mal, tend à le confondre avec un manque et une absence ; et, en effet, si le bien est l'être, en quoi le contraire de l'être pourrait-il se distinguer du néant ? Mais alors la solution du problème et sa dissolution risquent d'apparaître comme une seule et même chose.

Les formes classiques du discours rationaliste

La sagesse antique, en proposant des figures de sagesse, pensables et praticables, a donné les premiers modèles, achevés dès l'origine, de mises en forme d'un discours réduisant l'angoisse devant le mal comme la clarté du jour efface un mauvais rêve : on avance que faire le mal pour le mal étant une impossibilité logique, la volonté ne pouvant se définir que comme volonté de bien, la faute et même le crime ne sauraient être que des erreurs, explicables par un manque de savoir ; que les calamités naturelles ou les catastrophes historiques, qui leur sont si semblables, ne dépendent pas de nous et, puisque, relevant des lois de l'univers et inscrites dans l'ordre du monde, elles ne sont nullement des explosions d'irrationalité et n'expriment aucune sorte d'agressivité démoniaque à l'égard de l'homme, elles doivent être, une fois comprises, supportées avec la sérénité qui convient ; que la souffrance et la mort, étant le lot nécessaire d'un être fini qui ne saurait, sauf démesure déraisonnable, avoir la prétention de se confondre avec le tout, possèdent ce qu'il faut d'intelligibilité pour perdre un pathétique imaginaire et se révéler acceptables dans la paix de l'esprit ; qu'enfin le monde tel qu'il est, et qui ne serait pas s'il ne méritait pas d'être, fait une totalité au sein de laquelle toutes choses, et parmi elles les actions et les passions des hommes, s'équilibrent et se compensent pour contribuer à l'harmonie universelle, ou plutôt pour la constituer, si bien que l'illusion d'un absolu du mal provient ici encore d'une ignorance qui tend à considérer une partie ou un épisode en eux-mêmes, au lieu de les rattacher à l'unité du Tout, incassable, illuminante, justifiante.

La théologie chrétienne n'a cessé dans son histoire d'être confrontée au problème du mal, dont elle a dit et redit, à travers la variété de ses langages, qu'il ne se pose que par rapport à Dieu, lequel, en tant que créateur et responsable[...]

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Écrit par

  • : inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale

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