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MALADIE, anthropologie

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Il en est aujourd'hui de l' anthropologie « médicale » comme il en a été naguère de l'anthropologie « politique » ou de l'anthropologie « économique » : elle tente de se faire reconnaître comme une partie constituante de l'anthropologie sociale en général, tout en marquant la spécificité de son domaine, de ses points de vue et de ses méthodes. On peut donc imaginer qu'elle risque de connaître un avenir du même ordre, c'est-à-dire porteur du même paradoxe : une fois définis et constitués, les différents domaines de l'anthropologie laissent percevoir le caractère indécis de leurs frontières, et l'on peut sans doute avancer que c'est à partir du problème de la définition de leurs frontières (quand bien même il apparaît comme un faux problème, un problème dont l'objet est illusoire) que s'élabore et se met en forme la problématique propre à chacun de ces domaines ; le caractère non spécifiquement économique de la rationalité économique, la dimension religieuse du politique figurent ainsi au nombre des conclusions d'auteurs comme Maurice Godelier ou Georges Balandier, et ces conclusions peuvent servir de points de départ à la définition de nouveaux objets intellectuels qui ne correspondent pas au découpage institué par la division du travail anthropologique.

Les divisions de l'anthropologie médicale

L'anthropologie dite médicale est, quant à elle, d'autant plus sûrement promise à un avenir de sur- et de sous-définition que son homogénéité est très relative (en témoigne la diversité des démarches classées sous cette étiquette) et sa spécificité douteuse (en témoignent les nombreuses implications politiques ou religieuses de ses données). Confirment cette incertitude de départ l'existence d'une littérature descriptive abondante, l'absence d'essais de synthèse théorique et, plus encore, le fait que l'organisation de la discipline et de ses données se fait, à l'instar de celle de l'anthropologie politique à ses débuts, sur une base typologique.

Les classements typologiques s'effectuent, en effet, en tous sens et, pour l'essentiel, s'appliquent à la fois à l'ensemble des secteurs qui composeraient la sous-discipline « anthropologie médicale » et aux divisions internes de ces secteurs eux-mêmes. D'une vision d'ensemble de la littérature et des manifestations institutionnelles auxquelles a donné lieu l'anthropologie médicale, principalement aux États-Unis, on peut en effet conclure tout d'abord à la remarquable diversité, sinon à l'incontestable hétérogénéité d'analyses qui n'ont en commun que leur objet empirique d'occasion, à condition de définir celui-ci de façon très lâche. Un article de Serge Genest (1978) a eu le mérite, à la suite de A. C. Colson et K. E. Selby (1974), de bien mettre en évidence le côté en quelque sorte administratif et stratégique du regroupement ainsi opéré entre des recherches aux finalités différentes : l'épidémiologie, l'étude des soins en institution (health care delivery systems), les recherches sur les problèmes de santé et l'ethnomédecine constitueraient les quatre grandes divisions de l'anthropologie médicale. L 'épidémiologie se préoccupe essentiellement d'établir des corrélations entre l'environnement social ou naturel et les maladies endémiques ou épidémiques ; elle peut être conçue dans un sens très sociologique et chercher explicitement à mettre en relation coutumes ou modes d'habitat et maladies spécifiques ; elle n'est pas non plus sans finalités pratiques, puisque les modifications de divers ordres consécutives aux déplacements de population, par exemple, risquent d'entraîner l'effacement, l'apparition ou la réapparition de maladies. Genest, s'appuyant sur les travaux de H. Fabrega (1972), rappelle qu'une relation a été inférée (mais non prouvée) entre la mastication du bétel et le cancer de la bouche, et mentionne la relation, plus sophistiquée, qui a pu être établie entre le passage de la vie en montagne à la vie en plaine et la réapparition de la malaria ; cette relation fait intervenir simultanément des changements d'habitat (maisons à étages en montagne, maisons à même le sol en plaine), des changements dans l'organisation du travail (stabulation en montagne, pâture libre en plaine) qui expliquent la disparition des mécanismes de protection contre l'anophèle. La finalité appliquée de la recherche est à l'évidence encore plus marquée dans les études consacrées aux soins en institution, qui concernent plus particulièrement les anthropologues par l'attention qu'elles portent aux relations entre corps médical et patients ou entre différentes catégories du personnel médical, et dans les études de santé qui s'intéressent soit à des populations spécifiques, comme les personnes âgées, soit à des comportements spécifiques, comme la toxicomanie.

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L 'ethnomédecine constituerait, au terme de cette division, la part la plus anthropologique de l'anthropologie médicale, dans la mesure où elle privilégie plus nettement l'étude du rapport entre les maladies ou les modalités de leur traitement et l'organisation sociale des populations considérées ; mais elle ne serait pas pour autant de façon exclusive l'étude de la médecine des autres, des peuples non occidentaux, dans la mesure où elle s'applique aux comportements relatifs à la maladie en général, dans la mesure aussi où le doublet médecine savante/médecine populaire est attesté dans de nombreuses cultures. Une première difficulté apparaît néanmoins en ce point, car le caractère très officiel d'un certain nombre de croyances relatives à la maladie dans certaines sociétés (croyances qui entraînent tout naturellement le recours à un certain nombre de procédures et de thérapeutes) ne saurait avoir pour pendant le caractère officieux que prennent certaines croyances populaires dans les sociétés où une tradition médicale savante autonome s'est affirmée, même si ces croyances peuvent apparaître comme l'expression de logiques symboliques comparables ; pour dire les choses autrement, il faut souligner que le rapport vécu à la maladie ne se réduit pas à l'opposition médecine savante/médecine populaire ou médecine officielle/médecine officieuse, celle-ci n'étant tout au plus qu'une composante de ce rapport.

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Écrit par

  • : président de l'École des hautes études en sciences sociales

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