MALADIE, anthropologie
Empirisme et symbolisme
La tentation est également grande, dans la littérature existante, de subdiviser à l'infini les différents aspects de l'ethnomédecine elle-même. Ainsi l'attention des chercheurs se porte préférentiellement tantôt sur les croyances et les connaissances médicales, tantôt sur les traitements de la maladie ou encore sur les thérapeutes ; on trouve souvent, en outre, dans la distinction entre maladies physiques et maladies mentales, un principe discriminant qui tient davantage aux observateurs qu'aux observés, et que les premiers appliquent pourtant bien volontiers non seulement aux maladies elles-mêmes mais aussi aux traitements locaux (en distinguant traitements à base de plantes censées posséder une efficacité thérapeutique objective et traitements magiques, dont l'efficacité éventuelle serait d'ordre social ou psychologique) ou aux systèmes étiologiques (en distinguant les systèmes étiologiques naturalistes, qui attribuent une cause physique ou matérielle au mal, et les systèmes d'étiologie sociale, qui considèrent que tout mal physique est l'expression d'un désordre social). Ce principe discriminant ne définit jamais deux ordres cohérents de phénomènes (ordres selon lesquels les maladies physiques relèveraient d'un traitement physique, parce qu'elles auraient une cause matérielle, et les maladies mentales d'un traitement symbolique, parce qu'elles auraient une cause sociale) : l'évidence des données de terrain n'autoriserait pas une telle généralisation ; mais il ne cesse de se réintroduire dans la description et l'analyse des phénomènes et des institutions, empêchant peut-être par sa seule existence de bien situer la logique de la maladie dans l'ensemble de la logique sociale et, plus précisément, de définir l'objet intellectuel de la recherche anthropologique.
Toute l'ambiguïté du propos de l'anthropologie médicale est là : certains font de la question de l'efficacité thérapeutique la question première et n'envisagent éventuellement la relation au social que sous cet aspect ; d'autres (et ceux-là seuls font à proprement parler de l'anthropologie) s'intéressent d'abord à la place des représentations de la maladie et des institutions qui leur sont associées dans l'ensemble des représentations et des institutions de la société, n'envisageant leur efficacité que par rapport au fonctionnement d'ensemble de la structure sociale hiérarchisée ; dans ce dernier cas, les représentations de la maladie sont très directement associées à celles qui concernent, par exemple, la notion de personne ou les croyances à la sorcellerie. Pour lever cette ambiguïté, on avancera que, du point de vue de l'anthropologie, il est plus important de déceler et de définir la part actuelle du symbolique dans le rapport de nos sociétés à la maladie (et les effets de sens, notamment les effets politiques, induits par cette part symbolique, comme on les constate ou les pressent par exemple à propos de la place du cancer dans l'imaginaire et la réalité de ces sociétés ou, complémentairement, à propos du statut symbolique du tabac, de l'alcool ou des eaux minérales) que de définir la part effectivement et objectivement thérapeutique des médecines différentes.
Les recherches qui se donnent cet objet sont évidemment fondées et légitimes ; mais l'anthropologue, au demeurant incompétent en la matière, s'égare quand il le revendique pour sien. Or l'accent mis exclusivement sur la distinction entre les éléments empiriques et les éléments symboliques de la médecine, que ce soit dans la définition des maladies, celle de leurs causes ou celle de leurs remèdes, renforce l'ambiguïté de la finalité intellectuelle de la recherche. Du point de vue d'une histoire de la médecine, il n'y a aucun risque de[...]
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Écrit par
- Marc AUGÉ : président de l'École des hautes études en sciences sociales
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