MALADIES INFECTIEUSES ÉMERGENTES
Principaux types d’émergences
Il existe de quelques dizaines à quelques centaines d’agents pathogènes émergents ou réémergents identifiés. Il n’existe en revanche pas d’explication unique à leur apparition, mais plutôt de nombreuses causes, chacune propre à telle ou telle bactérie, à tel ou tel virus. On peut cependant avancer un petit nombre de situations types d’émergence : le franchissement de la barrière d’espèce forçant le passage d’un pathogène de l’animal à l’homme ; l’acquisition de propriétés nouvelles par un agent pathogène déjà connu ; la rencontre nouvelle entre un agent pathogène, ou son vecteur, et l’homme.
Franchissement de la barrière d’espèce
En ce qui concerne le franchissement de la barrière d’espèce conduisant à l’émergence d’une maladie, l’équation de départ est simple, en apparence : l’agent pathogène prolifère chez une espèce animale, mais ne le peut pas chez l’homme ; puis un ou plusieurs événements font qu’il en acquiert la capacité et devient pathogène pour l’espèce humaine. Le sida est à ce titre un cas exemplaire. Vers la fin des années 1970, on note aux États-Unis (en Californie et dans l’État de New York) que des hommes homosexuels souffrent d’asthénie, de perte de poids, et finalement d’infections opportunistes comme les pneumocystoses (pneumonies provoquées par le champignon Pneumocystiscarinii). En juillet 1981, l’usage accru de médicaments spécifiques de la lutte contre celles-ci alerte les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC pour Centers for Disease Control and Prevention). On montre ensuite que les symptômes proviennent de l’effondrement des défenses immunitaires. On nomme cette maladie jamais encore décrite acquiredimmunodeficiency syndrome (AIDS, « sida » en français). En 1983, l’agent causal principal est identifié. C’est un rétrovirus humain dénommé HIV-1 (pour humanimmunodeficiency virus 1 ; VIH-1, « virus de l’immunodéficience humaine 1 » en français). Il en existe un second, moins fréquent, le VIH-2. Ces virus n’avaient jamais été observés chez l’homme auparavant. On identifie rapidement des virus très voisins chez des singes africains (chimpanzé et mangabey), chez lesquels ils provoquent une maladie moins grave que chez l’homme, mais voisine.
Pourtant, ces virus simiens n’infectent normalement pas l’homme. Cependant, un ensemble de données suggère très fortement que le franchissement de la barrière d’espèce permettant le passage du singe à l’homme est survenu en Afrique équatoriale au début du xxe siècle, et que la maladie aurait ensuite progressé à bas bruit, ne commençant son expansion qu’aux environs de 1960. Ce passage a très probablement eu lieu lors de la chasse ou du dépeçage de viande de brousse, la contamination se réalisant par voie sanguine. Comment a-t-il été possible ? Le virus a besoin d’être reconnu par un récepteur membranaire pour pénétrer dans une cellule, mais les récepteurs de l’homme et du singe ne sont pas exactement semblables. Un mutant du virus, capable d’être reconnu par les récepteurs humains, a donc dû être sélectionné et propagé ensuite par transmission interhumaine jusqu’à devenir pandémique. L’émergence du sida est ainsi due au moins à un événement génétique qui a permis au virus de franchir efficacement la barrière d’espèce.
De manière symétrique, certains sujets humains opposent une barrière d’espèce efficace au VIH : ils lui sont insensibles, parce qu’ils sont dépourvus, pour une raison également génétique, de l’un des récepteurs membranaires, CCR5 dans ce cas précis, nécessaire à la pénétration du virus dans la cellule.
L’exemple du sida montre en outre que le franchissement réussi de la barrière d’espèce, et donc la modification génétique de l’agent, peut être bien plus ancien que la date[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Médias