MALADIES MENTALES (NOSOGRAPHIE DES)
La nosographie des maladies mentales, c'est-à-dire l'identification des signes cliniques et leur regroupement au sein d'une maladie définie, a de tout temps posé de délicats problèmes d'interprétation, eux-mêmes souvent liés aux représentations des troubles mentaux dans la société. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le besoin de disposer d'un outil permettant de rationaliser les diagnostics a poussé l'Association américaine de psychiatrie à lancer un vaste travail de classification. Celui-ci a abouti à la publication du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ; DSM). Le DSM-I (1952) puis le DSM-II (1968) sont largement inspirés par les théories psychologiques et psychanalytiques. Le DSM-III marque une rupture. Sous l'impulsion de Robert Spitzer, il s'adapte à la montée en puissance de la psychiatrie dite biologique, en adoptant une classification plus standardisée des maladies psychiatriques, reposant sur des critères diagnostiques précis et avec une formulation proche du langage médical classique. Publié en 1980, à un moment de reflux de la pensée psychanalytique aux États-Unis, le DSM-III devient rapidement un outil de référence pour le diagnostic des maladies mentales. Pour de nombreux psychiatres, il représente la « bible » qui va les aider à différencier le normal du pathologique.
Plusieurs éditions se sont succédé depuis lors, qui ont toujours été l'occasion de controverses. Mais aucune n'a suscité autant de réactions que la première ébauche du DSM-V. Pour la première fois, celui-ci a été mis en ligne sur Internet et ouvert aux critiques et suggestions. Une pétition émise par une branche de l'Association américaine de psychologie a reçu plus de 14 000 signatures. Ce mouvement hostile au DMS-V dénonce l'adoption de critères plus larges pour le diagnostic des maladies mentales, ce qui aura pour effet de faire entrer dans le domaine de la pathologie des personnes qui ne sont pas considérées actuellement comme malades. Pour poser le diagnostic de syndrome d'hyperactivité avec déficit de l'attention, par exemple, les symptômes ne doivent plus être apparus avant l’âge de 7 ans, mais avant 12 ans. Le deuil n'est plus un critère d'exclusion du diagnostic de dépression majeure. De nouvelles entités ont été créées, comme les troubles cognitifs légers, pour les plus de 50 ans, ou encore, les troubles de l'humeur avec perte de contrôle (disruptive mood dysregulation disorder), pour les enfants de plus de 6 ans. Paradoxalement, cette dernière entité a été conçue pour lutter contre l'inflation alarmante des diagnostics de troubles bipolaires de l'enfant aux États-Unis. Mais elle crée une nouvelle catégorie diagnostique qui va concourir à son tour à l'augmentation du nombre d'enfants traités par psychotropes.
Face à l'avalanche de critiques, plusieurs diagnostics nouveaux ont été relégués à l'appendice du DSM-V et qualifiés de « troubles encore insuffisamment explorés ». C'est le cas du syndrome de psychose atténuée et du syndrome mixte anxiété-dépression. Des explications ont été ajoutées. Ainsi, une note précise les critères nécessaires pour conclure à une dépression après un deuil. Cependant, la tendance croissante à classer les personnalités et les comportements humains dans des cadres pathologiques reste présente.
Le dessein initial du DSM était de fournir un langage commun aux spécialistes des maladies mentales, chercheurs ou cliniciens. Cet objectif louable mérite bien que l'on accepte quelques discussions et imperfections. Mais comment ne pas s'interroger sur l'évolution du DSM et sur les conséquences qui en découlent ? Une étude menée en 2006 indiquait que plus de la moitié (56 p. 100) des 170 membres du comité de rédaction[...]
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Écrit par
- Chantal GUÉNIOT : docteur en médecine
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