MALAISIE ET INDONÉSIE, langues et littératures
La littérature javanaise
L'état le plus ancien de la langue javanaise est connu par des textes épigraphiques, notés sur pierre ou sur plaques de cuivre, dans des variétés d'écritures dérivées de modèles indiens ; il s'agit surtout de textes législatifs (chartes de donation), datant du ixe au xve siècle. Les textes littéraires nous ont été conservés par des manuscrits notés sur lontar (feuilles de palmier à sucre), dans des écritures dérivées des écritures épigraphiques (plus rarement dans une écriture adaptée de l'arabe, dite pégon) ; mais les manuscrits dont on dispose actuellement ne sont guère antérieurs au xviiie siècle et, comme les textes ne sont datés qu'exceptionnellement, la chronologie est assez difficile à établir ; on s'accorde néanmoins pour distinguer quatre époques principales.
Époque ancienne (Xe-XVe s.)
À part quelques textes rédigés à l'époque des premiers royaumes de Java central (version en vers du Rāmāyaṇa, xe s. ?), le gros de la production date des époques de Kaḍiri, de Singasari et de Mojopahit ; l'influence des modèles indiens, surtout nette au début, s'atténue à partir de la fin du xive siècle (résurgence du fonds autochtone). Beaucoup d'œuvres sont en vers (on les appelle kakawin) et rédigées selon des principes prosodiques indiens (succession calculée de longues et de brèves) ; la langue javanaise proprement dite ne tient pas compte de la longueur des voyelles, mais elle se charge alors de très nombreux emprunts sanskrits (on donne le nom de kawi à cette variété un peu spéciale de javanais poétique).
Parmi les principaux kakawin (probablement destinés à être récités à haute voix), il faut signaler l'Arjunawiwāha, ou Mariage d'Arjuna (par Mpu Kanwa, poète à la cour de Erlangga, xie s.), le Bhāratayuddha (inspiré du Mahābhārata, daté de 1157), le Bhoma Kāwya, le Hariwaṃśa, le Brahmāṇḍa Purāṇa. Le plus célèbre est sans doute le Nāgarakěrtāgama, dont un manuscrit unique fut retrouvé à Lombok à la fin du xixe siècle ; rédigé par le poète Prapañca en 1365, le texte se présente comme un panégyrique du souverain de Mojopahit, Ayam Wuruk, et abonde en détails précieux sur l'histoire de Java au xive siècle. Il faut encore citer le Sutasoma, œuvre de Mpu Tantular (xive s.), conte édifiant racontant comment le Buddha, réincarné en la personne du prince Sutasoma, triomphe d'un monstre anthropophage.
Outre ces œuvres proprement littéraires, il faut citer des traités religieux, commentaires ou adaptations d'originaux indiens, d'inspiration śivaïte (Wěrhaspati Tatwa, Sapta Bhuwana, Śiwarātrikalpa) ou bouddhiste (Sang Hyang Kamahāyānikan, dont le titre indique qu'il s'agit de mahāyāna).
Parmi les œuvres en prose, on remarque l'adaptation libre de certains fragments du Mahābhārata (Ādiparwa, Wiraṭaparwa) et celle du dernier chant du Rāmāyaṇa (Uttarakāṇḍa), ainsi que la rédaction (plus récente, xvie s. ?) de deux textes à prétentions historiques, le Pararaton, ou Livre des Rois, et le Tantu Panggelaran ; le premier commence avec les origines mythiques de la dynastie de Singasari-Mojopahit, évoque l'invasion chinoise de 1292, puis l'apogée sous Ayam Wuruk, et poursuit jusqu'à l'année 1389 ; le second est un recueil de traditions concernant divers sites sacrés et montagnes de Java est. Enfin, un traité juridique, le Kuṭāra Mānawa (probablement xive s.).
Époque javano-balinaise (à partir de 1500 env.)
Dès le xie siècle, l'île de Bali avait été attirée dans la sphère d'influence javanaise ; lorsque l'Islam se fut installé à Java, triomphant des vieux royaumes indianisés, les princes balinais (notamment ceux de Gelgel et de Klungkung) recueillirent l'héritage de Mojopahit et le maintinrent pour ainsi dire jusqu'à nos jours (goût pour[...]
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Écrit par
- Denys LOMBARD : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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