Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MALAISIE ET INDONÉSIE, langues et littératures

La littérature indonésienne

S'il n'y a aucune solution de continuité entre le malais et l'indonésien, il y a rupture – et rupture consciente de la part des auteurs – entre l'ancienne « littérature malaise » et la nouvelle « littérature indonésienne ». La société indo-néerlandaise des années 1920 était évidemment très différente de celle des sultanats du xviie siècle, et les fougueux étudiants de Batavia – bientôt « indonésiens » – entendaient rompre d'avec les formes littéraires traditionnelles (hikayat, syair, etc.). Ils se tournent tout naturellement vers l'Occident dont les échos affaiblis leur parviennent par l'intermédiaire des traductions néerlandaises.

Quatre faits sont à signaler à l'origine de cette spectaculaire renaissance : l'essor d'une presse en malais dès les dernières décennies du xixe siècle ; le développement, à partir de 1880 environ, d'une abondante littérature sino-malaise (romans, pièces de théâtre, rédigés en malais par des Chinois d'outre-mer) ; la création en 1908, par les autorités coloniales, d'une maison d'édition (Balai Pustaka) chargée de faire connaître, par des traductions, la littérature de la métropole et de publier les œuvres originales des premiers auteurs « indigènes » ; la publication, en 1911, des Lettres d'une jeune Javanaise de famille noble (originaire de Japara), Radén Ajeng Kartini. Rédigées en néerlandais et adressées à une correspondante des Pays-Bas, ces lettres reflètent les aspirations et les déceptions de l'auteur, victime de l'ancienne coutume qui cloîtrait les filles de la noblesse dès qu'elles atteignaient l'âge de douze ans. Toute une génération se reconnut dans Kartini, qui devait devenir comme une des pionnières de la lutte pour l'émancipation féminine.

On s'accorde pour distinguer cinq grandes périodes dans le développement de la littérature indonésienne.

L'éveil (1920 env.-1933)

La première phrase s'inscrit sous le signe de l'« occidentalisation ». Les auteurs sont surtout des Sumatranais (pour qui le malais-indonésien est la langue maternelle), issus de l'aristocratie ; ils ont rencontré l'Europe au cours de leurs études secondaires, poursuivies dans l'une des très rares écoles que le gouvernement colonial entrouvre aux élites.

Les premières grandes œuvres sont des romans, axés sur quelque drame psychologique, souvent fort longs et excessivement sentimentaux pour le goût occidental ; ils présentent néanmoins un grand intérêt, celui de traiter de problèmes propres à l'Indonésie, comme celui du mariage forcé (alors fréquent à Java et à Sumatra), ou encore celui du mariage interracial (entre Hollandais et Indonésiens). Parmi les titres les plus célèbres, citons Sitti Nurbaya, de Maha Rusli (1922, et nombreuses rééditions), et Éducation manquée (Salah asuhan), de Abdul Muis (1928). Nur Sutan Iskandar, Suman Hasibuan et surtout Sutan Takdir Alisjahbana devaient occuper bientôt une place prépondérante dans le mouvement littéraire.

La poésie innove également en empruntant aux modèles européens (notamment le sonnet) ; en 1920 paraît Patrie (Tanah air), recueil de M. Yamin ; en 1925 paraît Jaillissement de pensées (Percikan permenungan), recueil de Rustam Effendi. En matière de théâtre, les jeunes auteurs acclimatent le « drame » et écrivent des pièces, divisées en scènes et en actes (généralement cinq) et souvent rédigées en vers. Le sujet est parfois emprunté, à dessein, au passé glorieux et semi-légendaire de Java (Airlangga et La Chute de Mojopahit par Sanusi Pané) ; le public n'est pas sans comprendre les allusions et la police est parfois obligée d'interdire la distribution des livrets (comme celui de Bebasari par Effendi).

Il faut noter encore que, durant cette première[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Autres références

  • ANANTA TOER PRAMOEDYA (1925-2006)

    • Écrit par
    • 847 mots

    Romancier, essayiste et biographe, auteur d'une œuvre largement diffusée et traduite, Pramoedya Ananta Toer (dit Pram) est sans conteste la figure la plus marquante de la littérature indonésienne du xxe siècle. Né en 1925 à Blora, ville située sur la côte nord de Java, Pram prit part...

  • BOUGI ou BUGI

    • Écrit par
    • 460 mots

    Population numériquement la plus importante de la péninsule septentrionale de Célèbes (Sulawesi) en Indonésie, les Bougi étaient environ 3,5 millions dans les années 1990. Cette ethnie fut, avec les Makassar, parmi les premières populations malaises à se convertir au bouddhisme et à faire leurs...

  • ÉPOPÉE

    • Écrit par , , , , , , , et
    • 11 781 mots
    • 7 médias
    ...Kampuchéa. Au xe siècle, on connaît une version en kawi d'un des livres de cette épopée : Bishmaparvan. Il y a d'autres versions attestées au Siam et en vieuxmalais ainsi qu'en Birmanie et au Tibet. De nombreuses compositions littéraires et des épisodes entiers en sont dérivés.
  • INDONÉSIE - Histoire

    • Écrit par
    • 10 658 mots
    • 7 médias
    ...Dans ces ports nouvellement créés, où confluaient les nationalités les plus diverses, la nécessité d'une langue d'échanges se fit bientôt sentir ; le malais put de ce fait acquérir la place prépondérante qui est la sienne à présent. Dans les creusets linguistiques que formaient tous ces carrefours commerciaux,...
  • Afficher les 7 références