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MALCOLM MORLEY. ITINÉRAIRES (J.-C. Lebensztejn)

Comme l'indique le mot Itinéraires, sous-titre de l'ouvrage monographique (éditions Mamco, Genève, 2002) que Jean-Claude Lebensztejn consacre au peintre américain Malcolm Morley, né à Londres en 1931, les chemins qui mènent à l'artiste sont multiples. Une telle approche contrastait violemment avec celle que proposait la rétrospective consacrée à l'artiste par la Hayward Gallery de Londres durant l'été de 2001, suivant ainsi de peu une première publication anglaise de Malcolm Morley. Itineraries (Reaktion Books, Londres, 2001) précédant celle du texte français original. L'exposition, remarquait un critique américain, procédait à une sélection draconienne, assourdissant la cacophonie d'une œuvre qui s'étend maintenant sur plus de quarante ans. Au contraire, notait-il discrètement, l'ouvrage de « l'universitaire français présente une image très différente de l'artiste, célébrant précisément les fissures et les contradictions du développement de Morley qui furent exclues de l'exposition [...] ».

Les itinéraires que propose l'ouvrage n'établissent, en lieu de biographie monographique, qu'une rigoureuse fantaisie élaborée de concert (parfois dissonant) par le peintre et l'historien. « Je vois l'histoire de l'art, surtout de son art, comme une histoire policière », prévient d'entrée l'auteur, qui s'est ainsi proposé de traquer sans relâche, dans l'art et la vie de Morley, les tensions internes qui motivent sa peinture. Celles-ci le conduisent, fin 1964, après une période abstraite, aux premiers tableaux qualifiés par l'artiste de superréalistes, rejetant ainsi l'assimilation de son art à l'hyperréalisme ou au photoréalisme. L'intérêt de l'auteur pour cette première période réside notamment dans l'élaboration d'une méthode que le peintre a préservée jusqu'à aujourd'hui. À la fin des années 1960, l'innovation de Morley est triple : « technique, méthodologique et théorique ». Il s'agit de mettre un modèle photographique au carreau et d'opérer un transfert à l'échelle de la toile. Très vite, cependant, la possible continuité entre le modèle et la reproduction éclate (jusqu'aux Catastrophes des années 1970) lorsque Morley se met à peindre, à la loupe et le plus souvent à l'envers, chaque unité indépendamment des autres. Certes, le peintre s'attachera un temps à unifier l'ensemble de ces quantums, ainsi qu'il les nomme. Mais la méthode reste définitivement abstraite. Aussi, Lebensztejn n'hésite-t-il pas à isoler et à retourner sur lui-même le « paradoxe formel » de la peinture non pas hyperréaliste, mais bien superréaliste de Morley. Si l'usage de la grille, écrit-il, semble rappeler un « procédé académique », sa méthode est bien plus proche de « celle des peintres et sculpteurs abstraits des années 1960 comme Carl Andre, Agnes Martin, Sol LeWitt et Brice Marden ». Cette torsion affecte, semble-t-il, tout l'art à venir de Morley. Elle permet en tous cas à Jean-Claude Lebensztejn de négocier l'entrelacement complexe des différents niveaux de représentations et d'abstraction – ou leur collision – qui rend inacceptable la peinture récente de Morley aux yeux de bien de ses contemporains.

C'est à ce titre, discutant les œuvres des années 1980 et 1990, que l'auteur tire le meilleur parti de la piteuse réception critique de son art. Que celle-ci trouve la peinture de Morley « sans inspiration, insipide, ennuyeuse sans plus » ou mieux encore « de la merde » aiguise sa plume. Mieux vaut, estime-t-il justement, une critique malveillante qu'une apologie convenue. Retournant cette hargne contre elle-même, Lebensztejn donne alors toute sa force à la résistance et à l'agressivité de la peinture de Morley. Certes,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Brown, Rhode Island (États-Unis)

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