MALSCIENCE. DE LA FRAUDE DANS LES LABOS (N. Chevassus-au-Louis)
La fraude à l’ère numérique
La plupart des chercheurs fraudeurs étudiés avaient rencontré des difficultés de financement dans les cinq années précédant leurs méfaits : « Plus on mettra de gens sous pression pour l’obtention de financements, plus on augmentera la probabilité qu’une équipe doive faire un arbitrage entre qualité et rapidité. » Les exceptions de jadis deviennent alors la règle, s’instituant au fur et à mesure de l’introduction du numérique, qui rend si facilement manipulables les données : le nombre d’articles publiés dont les résultats se situent exactement au-dessus du seuil d’acceptabilité statistique a crû dans des proportions inédites depuis l’an 2000. La reproductibilité des expériences en vient même à être mise à mal, puisqu’une étude montre qu’en biomédecine 75 à 90 % d’entre elles ne sont justement pas reproductibles. À mesure que le nombre de ces fraudes augmente, les laboratoires industriels – alors même que les recherches financées par les grandes firmes pharmaceutiques ont tendance à trouver davantage de résultats positifs à de nouveaux traitements que celles financées sur fonds publics ou caritatifs – se montrent suspicieux à l’égard des résultats produits par les chercheurs du public, dont la carrière dépend presque uniquement du nombre d’articles publiés et de la renommée des revues impliquées. À tel point qu’investisseurs et détenteurs de capital-risque considèrent que la moitié des résultats produits académiquement ne sont pas suffisamment fiables pour fonder une entreprise de biotechnologie : magie du capitalisme, cette immense faille scientifique devient elle-même source de profit avec des certificats de reproductibilité délivrés par des sociétés surfant sur ce créneau porteur…
Dans cet univers de compétition généralisée se développe en effet un marché pour toutes sortes de prestations : payer pour avoir son nom cité comme premier auteur aux côtés d’autres savants ayant déjà rédigé un article, voire payer pour publier tout court – selon le modèle des revues « prédatrices », qui sollicitent par e-mailles chercheurs en vue de les publier en open access sur le Web contre rémunération de la part de l’auteur. Une enquête de Mara Hvistendahl met en lumière ces pratiques, témoignant des ravages de l’ultralibéralisme industrialiste dans la « recherche », qui va parfois jusqu’à l’écriture automatique d’articles par des robots informatiques, fléau qui semble sévir dans les sciences de l’informatique en Chine, où les dotations des chercheurs sont – directement – indexées sur la quantité de publications.
Ce panorama de la « malscience » se clôt sur un florilège de dispositifs (parfois bien maigres) de recours et de lutte légale contre la fraude scientifique, avant d’en appeler à deux mesures, de nature hétérogène, visant à enrayer cette faiblesse structurelle de la probité savante. La première, en adéquation avec plusieurs prises de position publiques d’institutions savantes renommées, consiste à faire disparaître le h-index, qui calcule la notoriété d’un chercheur à partir du nombre de citations de ses articles dans les revues de référence au cours des deux dernières années (ce qui induit une course permanente à la publication). La seconde rejoint les nombreux appels déjà existants en faveur de l’émergence d’une slow science, d’une science plus lente, plus attentive aux exigences de scientificité et d’émancipation de l’humain, plutôt qu’aux aléas et sollicitations des marchés. À l’heure du rassemblement des universités dans des mastodontes académiques qui se veulent d’excellence et se révèlent ingouvernables, antipédagogiques et vecteurs de médiocrité intellectuelle et savante, gageons qu’un bel avenir est, malheureusement, pour longtemps encore, promis à ces initiatives.
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Écrit par
- Guillaume CARNINO : maître de conférences en histoire des sciences et des techniques
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