MALTHUSIANISME ET NÉO-MALTHUSIANISME
Réactions théoriques et pratiques au XIXe siècle
Les faits
Les hypothèses malthusiennes relatives à la croissance des subsistances et de la population furent démenties par les faits. Bien que des observations récentes sur des terres à céréales semblent confirmer une progression arithmétique des rendements depuis 1800, il est certain que le progrès technique, le développement des défrichements dans et hors l'Europe, les importations de nourriture ont rendu caduque, au xixe siècle, la loi des subsistances. En Europe, une population croissante (baisse de la mortalité, hausse de la natalité dans la plupart des pays entre 1840 et 1880) connut un niveau de vie en amélioration progressive. Jusqu'à cette dernière date, on peut parler, avec Alfred Sauvy, de « prêches malthusiens dans le désert ». Malthus voulait restreindre les naissances en Angleterre et dans les classes pauvres ; c'est en France et dans les classes riches qu'il fut le plus suivi, et par le moyen de pratiques anticonceptionnelles plutôt que par la contrainte morale. Pourtant, la France subissait dès cette époque les premiers assauts de la baisse de fécondité, et sa population croissait assez peu : la diffusion de la petite propriété rurale, que les auteurs estimaient favorable au peuplement, semble avoir eu les effets inverses. Ce n'est que vers 1880, à la suite d'un procès célèbre relatif à un ouvrage néo-malthusien, que l'Angleterre se rendit aux pratiques contraceptives et que la natalité commença à diminuer dans ce pays.
Approfondissement de la « contrainte morale »
Étudier l'influence théorique et doctrinale de Malthus au xixe siècle reviendrait à étudier les progrès des idées sur la population jusqu'à l'avènement de la démographie moderne. En effet, c'est en combattant Malthus ou en le « prolongeant » qu'on fit le plus de découvertes, comme le remarque D. E. C. Eversley. L'Essai innovait peu mais ébranla tout le monde. Les économistes classiques adoptèrent la loi de population, l'interprétant dans un sens pessimiste ou optimiste. L'école française de J.-B. Say renoue avec l'optimisme en insistant sur les bienfaits de la production et de l'échange industriels, sur la diversité des besoins selon les classes sociales. A. H. Moreton, G. Rickards affirment que la contrainte morale progresse sous les effets de la civilisation et du confort. Les « antimalthusiens » sont surtout des auteurs sociaux qui dénoncent la loi « naturelle » de Malthus, en reviennent à l'optimisme relatif aux subsistances, attribuent la pression sur les ressources aux conditions sociales. Sismondi, auteur français du début du xixe siècle, est un des premiers à transformer la loi « naturelle » de population en loi « sociale ». Comme Cantillon au siècle précédent, il pense que le riche propriétaire foncier commande l'exploitation des terres et, par là, la quantité de subsistances disponibles. Il ajoute que le régime du salariat prive le prolétaire des moyens de produire, donc de prévoir son revenu futur, donc de toute base sur quoi régler le nombre de ses enfants : découragé, il vivra au jour le jour, renonçant – dirions-nous – à planifier sa procréation.
La thèse marxiste n'est pas sans lien avec celle de Sismondi. Pour accroître ou maintenir ses profits, le capitaliste accumule sans cesse et concentre les capitaux. Des travailleurs deviennent inutiles, une « armée industrielle de réserve » se constitue (chômage structurel). La surpopulation n'est ainsi qu'apparente et relative aux conditions historiques et logiques de fonctionnement du système capitaliste : elle doit disparaître avec le système qui l'a engendrée. En régime communiste, l'exploitation sociale et harmonieuse des ressources donnera l'aisance aux travailleurs, dont l'excès n'est plus à craindre (on procrée[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-François FAURE-SOULET : docteur ès sciences économiques, chargé de recherche au C.N.R.S.
Classification
Autres références
-
DÉBOUCHÉS, économie
- Écrit par Alain-Pierre RODET
- 306 mots
L'économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832) a élaboré une théorie dont la pièce centrale est constituée par la fameuse loi des débouchés. Le principe de cette loi peut être ainsi résumé : c'est le producteur qui crée une demande par ses produits. Un produit créé offre dès cet instant...
-
DÉCROISSANCE
- Écrit par Fabrice FLIPO
- 6 858 mots
- 1 média
Que faire de l'accusation de « malthusianisme », brandie par les libéraux et les marxistes contre les objecteurs de croissance ? Malthus avait eu ces mots terribles, qui ont hanté l'imaginaire socialiste : « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n'a pas les moyens de le nourrir, ou... -
DÉMOGRAPHIE
- Écrit par Hervé LE BRAS
- 8 983 mots
...Par exemple, la Prusse, dépeuplée par la guerre de Trente Ans (1618-1648), a accueilli les protestants français après la révocation de l'édit de Nantes. Au xixe siècle, sous l'influence de l'Essai sur le principe de population de Malthus, plusieurs gouvernements d'Europe ont craint la surpopulation... -
ENVIRONNEMENT - Catastrophisme environnemental
- Écrit par Valérie CHANSIGAUD
- 7 406 mots
...accordent à l'accroissement de la population humaine dans la dégradation de l'environnement, Vogt et Osborn Jr. ont été immédiatement considérés comme des néo-malthusiens – Ehrlich le sera par la suite. Mais suivent-ils, près de cent cinquante ans plus tard, le même mode de pensée que Malthus ? Oui et non.... - Afficher les 10 références