MALTHUSIANISME ET NÉO-MALTHUSIANISME
L'esprit malthusien
Un état d'esprit et une pratique
Bien que Malthus ait consacré des centaines de pages à l'étude des conditions d'une production croissante, l'usage s'est répandu d'appeler malthusienne toute pratique restrictive de la production et de la population, voire tout état d'esprit restrictif (cf. A. Sauvy : la peur de l'excès, le nivellement par le bas). Cet état d'esprit est plus ou moins conscient, il traduit des buts plus ou moins désintéressés. Les capitalistes du xixe siècle, malthusiens à l'égard des pauvres ; les pays évolués modernes, malthusiens à l'égard du Tiers Monde, une famille malthusienne de nos sociétés de consommation : autant d'attitudes fort répandues et dont les responsables prétendent, avec quelque bonne foi sans doute, qu'elles s'inspirent du désir de rendre service ; dans le cas d'une famille, il s'agirait de ne pas donner naissance à des enfants qui seraient mal soignés ; l'argument malthusien du chômage est beaucoup moins défendable dans notre monde moderne : celui de refuser des enfants qui seraient malheureux l'est davantage, car la richesse ne se démocratise qu'avec lenteur. Quoi qu'il en soit, l'état d'esprit malthusien est vivace en matière de population ; il l'est aussi en économie, bien que le caractère malthusien des mesures prises ne soit pas toujours évident ou s'inscrive dans une évolution « progressive ».
Le malthusianisme économique
Le malthusianisme économique était flagrant entre les deux dernières guerres en de nombreux pays touchés par la crise de 1930. Des cartels fixant un prix minimal et les quantités à vendre se multiplièrent, des stocks furent détruits, la protection douanière fut renforcée, les entrepreneurs hésitaient à investir. Ces symptômes furent très nets en France, car ce pays a connu dès le xixe siècle la peur de produire et de « s'exposer », liée d'ailleurs aux conduites démographiques restrictives. Mais en toutes contrées existent encore des entreprises ou boutiques malthusiennes, qui produisent peu et vendent cher ; et la libre concurrence n'a jamais été telle qu'elle interdise de telles pratiques. Des entrepreneurs « attendent » encore la demande – en notre époque de primauté de l'offre intelligente ; un plan étatique de type indicatif peut les rassurer, les « inciter », loin d'ailleurs de ne servir qu'à cela : car il est des risques qui ne sont supportables et ne sont tentés que si quelques assurances existent. De même, on ne confondra pas malthusianisme et cartels (ceux-ci peuvent régulariser le marché et éviter des chutes de production et de prix néfastes), malthusianisme et trusts ou « monopoles » (ceux-là peuvent s'imposer par gaspillage publicitaire et stérilisation de brevets ; mais ils éliminent des entreprises routinières et leur politique de production et de prix s'inscrit dans un procès général de croissance qui est non ou antimalthusien). L'État aussi peut être malthusien, encourageant le logement de qualité mais cher, multipliant les taxes indirectes, réduisant de façon uniforme la durée du temps de travail sans tenir compte des goulets d'étranglement possibles dans certaines activités, etc. Le traité de Rome donne une orientation antimalthusienne à la construction européenne, mais entreprises et États renâclent à en tirer toutes les conséquences.
La production reste en définitive un acte moins naturel que la procréation ; le malthusianisme économique s'estompe difficilement.
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Écrit par
- Jean-François FAURE-SOULET : docteur ès sciences économiques, chargé de recherche au C.N.R.S.
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