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MAN ON THE MOON (M. Forman)

La grande réussite de Man on the Moon (1999) résulte de la rencontre entre trois personnalités hors du commun : le réalisateur américain d'origine tchèque Milos Forman, le comédien caméléon Jim Carrey et l'énigmatique Andy Kaufman, superstar de la télévision américaine, pendant les années 1970, dont le film retrace la vie insolite.

Dans ses films, depuis les débuts tonitruants de la nouvelle vague tchèque précédant le Printemps de Prague (L'As de pique, Les Amours d'une blonde), jusqu'à ses virulentes chroniques américaines (Taking off, Vol au-dessus d'un nid de coucou, Hair, Ragtime), Milos Forman a toujours cultivé un aspect « documentaire ». Il aime à déclarer par ailleurs que « tous les films sont des biographies », qu'elles soient réelles ou imaginaires. Dans la schizophrénie quotidienne de l'être privé devenant figure publique, ce qui l'intéresse, c'est moins la division de la personnalité que la frontière entre ses deux faces. Avec Larry Flynt (1997), déjà, le réalisateur nous avait proposé sa vision d'un personnage public ambigu, junkie névrosé et magnat médiatique, marchand de sexe et chantre de la liberté d'expression.

Quant à Jim Carrey, il s'est imposé comme le burlesque des années 1990, capable d'explorer, comme aucun acteur depuis Jerry Lewis, les paradoxes du comique. Adepte du dédoublement grimaçant de la personnalité, virtuose du déguisement jusqu'à l'effroi, maître de l'expression faciale déformée et de ses prolongements plastiques par image de synthèse (The Mask, de Charles Russell, 1994), Carrey s'avère l'incarnation idéale de l'« homme sur la Lune », pour reprendre le surnom que le groupe rock R.E.M. (à qui Forman a commandé la musique de son film) donna à Andy Kaufman.

Disparu en 1984, Andy Kaufman fut l'une des figures clés de la société médiatique américaine, véritable condensé des contradictions de son pays. Mélange de démagogie et de subversion, il se plaisait à rendre mal à l'aise, mais cherchait à plaire à ceux qu'il dérangeait. Animateur et « perturbateur » de programmes télévisés, acteur de sitcoms bêtifiants, à la fois pur produit et dénonciation de la médiocrité de l'Américain moyen, il fut une personnalité charismatique et insaisissable.

Au contraire d'un Sidney Lumet, Forman n'explore pas ici la psychologie de ses personnages. Il laisse parler les comportements, et c'est au spectateur de tirer, s'il le peut ou s'il le veut, ses conclusions. Cette approche se double, dans Man on the Moon, d'un va-et-vient virtuose entre la réalité et la représentation. Les masques successivement endossés par Andy Kaufman relèvent-ils d'un génie de la mystification ou d'une débilité profonde ? L'énigme, Forman fait mine à chaque fois de la dévoiler, pour mieux la réintroduire dans la séquence suivante. Qui est, par exemple, l'alter ego d'Andy, le médiocrissime cabot nommé Tony Clifton ? La vertigineuse complicité du réalisateur avec le comédien parvient à épaissir le mystère du personnage, à mesure qu'il prétend l'éclaircir. Dans l'intervalle, plusieurs vaches sacrées de la société actuelle sont brocardées, à travers la satire sans appel de la « prostitution médiatique ».

Il existe cependant, sous la grotesque façade de Man on the Moon, une réflexion tragique sur le caractère obsessionnel de l'artiste comique, sujet naguère traité par Martin Scorsese dans La Valse des pantins (The King of Comedy, 1983). Et c'est là que la démarche de Forman épouse celle de son héros : jamais il ne nous prévient si ce qu'il nous montre est « sérieux », ou si c'est un « coup » monté par Andy Kaufman, y compris les prétendus « faux pas » de ses numéros comiques. « Tout comique a peur de l'échec, il a peur de[...]

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Écrit par

  • : membre du comité de rédaction de la revue Positif, critique et producteur de films

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