MAN RAY, LA PHOTOGRAPHIE À L'ENVERS (exposition)
La troisième exposition consacrée par le Musée national d'art moderne à l'œuvre de Man Ray (présentée aux Galeries nationales du Grand Palais du 29 avril au 29 juin 1998) montrait pour la première fois une partie du fonds considérable reçu en dation par le Musée en 1994, complété par un don de Lucien Treillard, assistant et ami de l'artiste : en tout, 13 500 négatifs, 5 000 contacts, ainsi que des objets, peintures et dessins. Plus de 280 pièces ont ainsi été sélectionnées, images célèbres ou moins connues, images restées longtemps inaccessibles, qui constituaient un bel ensemble, sobrement présenté, par endroits de façon serrée. La petitesse de nombreux tirages (parfois quatre ou cinq centimètres, une douzaine le plus souvent), renforçait, sur certaines cimaises, l'impression de surcharge, mais permettait, en contrepartie, de circuler visuellement à l'intérieur d'une série comprenant quatre ou cinq images et d'en apprécier les variantes. Car c'était l'un des points forts de l'exposition que de donner à voir la « cuisine » de Man Ray, ses façons de travailler, les choix opérés pour telle pause, tel éclairage ou tel recadrage. Lui qui découvrit, le plus souvent par hasard, quelques-uns des procédés plastiques et techniques de la photographie moderne, devint, également par hasard, un artiste se servant de la photographie.
Man Ray signa en 1943 un article ironique sur la photographie : « La Photographie n'est pas de l'art ». Il avait en effet débuté comme peintre et ne s'adonna à cette pratique qu'en 1915, dans le seul souci d'obtenir des images de ses toiles. Dès lors, il réalisera simultanément ou tour à tour des photographies documentaires, professionnelles, des photographies d'art, surtout après son installation à Paris, en 1921. Alors qu'il fait le portrait des célébrités du Tout-Paris, – son principal « gagne-pain » –, il collabore à différentes revues, Vogue, Vanity Fair, Harper's Bazaar, Vu, Paris Variétés, en tant que photographe de mode, ou encore occasionnellement au magazine Art et médecine, auquel il donne des vues de Paris. Dans ces publications, il parvient parfois à publier des œuvres artistiques, comme dans Vanity Fair, l'une des premières revues à reproduire ses « rayographies », ou encore dans Vogue, qui reproduisit la célèbre photographie Noire et blanche (1926), où l'on voit la tête penchée d'une jeune fille de type européen, les yeux fermés, juste à côté d'un masque africain.
Mélange des catégories et des genres, entremêlement des esthétiques et des pratiques – qui annoncent certaines productions d'un Warhol ou d'un Mapplethorpe –, l'œuvre photographique de Man Ray est pourtant d'une parfaite cohérence. C'était en tout cas l'impression immédiate ; mais un regard plus attentif faisait apparaître un aspect autrement plus riche et significatif. Les photographies de mode ou de publicité qui étaient présentées dans l'exposition jetaient le trouble dès qu'elles étaient considérées sous l'angle de l'avant-garde dadaïste ou surréaliste. Ainsi, telle publicité de 1925 qui représente l'immense demi-jambe d'une femme, dont la chaussure prend appui sur la première marche d'un tout petit escabeau, rappelle certains tableaux surréalistes de Magritte ; telle autre publicité pour des bijoux, dans Harper's Bazaar, de 1935, qui montre un coffret plein de bijoux, la sculpture d'une tête de femme évoquant une image pieuse, devant laquelle passe une main de mannequin féminin portant un bracelet et une bague, est digne de la rêverie que pouvaient déclencher chez les surréalistes la rencontre fortuite d'objets. Les surréalistes ne manqueront pas de reproduire certaines photographies de mode de Man Ray dans leurs revues,[...]
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Écrit par
- Jacinto LAGEIRA : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
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