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MĀNAVADHARMAŚĀSTRA

La tradition hindoue enseigne que l'humanité actuelle descend d'un homme qu'elle nomme Manu ; celui-ci appartient en fait à une race plus ancienne dont tous les représentants furent anéantis, sauf lui, dans un déluge. Manu, seul « juste » parmi des millions de méchants, fut averti par Dieu (Vishnu, incarné en poisson) que les eaux allaient monter et qu'il lui fallait construire un navire pour se sauver. Lorsque tous les êtres eurent été anéantis, le poisson guida le bateau de Manu jusqu'à une montagne où le saint attendit le reflux. Il repeupla alors la terre grâce à des pratiques rituelles et dota l'humanité nouvelle d'un code que l'on nomme Mânavadharmashâstra (mānava-dharmaśāstra), c'est-à-dire Traité[shâstra]de droit[dharma]ayant Manu pour auteur, ou encore Manu Smriti (manusmṛti) pour rappeler que ce qui relève des contingences (règles de conduite, dispositions pénales, etc.) appartient à la tradition (smṛti), laquelle, bien que d'origine divine, n'a pas le caractère immuable et intangible de la Révélation (śruti), c'est-à-dire du Véda. Pour un théologien brahmanique, le Mânavadharmashâstra est un texte « prophétique », non l'expression directe du Verbe comme le sont les Écritures. Et pourtant, le terme de dharma déborde considérablement la notion contingente de « droit » (même au sens le plus large) : si les préoccupations juridiques sont, dans ce traité, au premier plan, des considérations religieuses, éthiques, sociales, politiques s'y ajoutent. À la limite, le concept de dharma englobe l'ensemble des règles de conduite et les fondements de l'idéologie brahmanique. On le voit d'ailleurs par l'organisation interne du texte, qui s'ouvre par une cosmogonie et qui comporte des prescriptions rituelles aussi bien que des conseils aux souverains.

Du point de vue de la critique occidentale, les « Lois de Manu » paraissent dater, sous leur forme actuelle, du ~ iie siècle. Elles ont été composées dans un milieu brahmanique orthodoxe et relèvent de l'école védique mānava, à laquelle on doit d'autres textes importants (notamment un traité rituel concernant les sacrifices solennels). Le Mânavadharmashâstra se présente comme un long poème didactique en langue sanskrite comportant plusieurs milliers de stances (śloka, strophes de quatre vers octosyllabiques) réparties en douze livres (adhyāya). Le premier traite de l'origine du monde, le deuxième de la vie religieuse privée (sacrements), le troisième du mariage, le quatrième des différents types d'aumône, le cinquième des règles de purification et des « devoirs des femmes », le sixième de la conduite propre aux renonçants et aux ascètes, le septième des devoirs des souverains et de la caste aristocratique, le huitième et le neuvième sont proprement juridiques (droit civil, code pénal, etc.) et présentent le premier classement méthodique des matières contentieuses du droit privé, sous dix-huit chefs (mārga), déterminés selon la nature des intérêts juridiques en cause (droits réels, obligations, infractions pénales, droit de la famille, ordre public) ; ils présentent aussi de nombreuses règles de procédure. À partir du dixième livre, on s'oriente vers des préoccupations exclusivement religieuses : dangers du temps présent (le Kali-Yuga, dernier âge cosmique), pénitences et expiations (livre onzième), transmigration (samsāra) et salut éternel (livre douzième).

La postérité du Mânavadharmashâstra est considérable : il a été imité dans d'autres écoles et surtout il a été commenté inlassablement et de manière ininterrompue jusqu'à nos jours. À ce titre, c'est l'un des textes les plus importants de la tradition brahmanique.

— Jean VARENNE

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III

Classification

Autres références

  • DHARMA

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