MANDARINS
De l'idéal du mandarin...
Les travaux de Robert Des Rotours sur les examens chinois et le statut des fonctionnaires, ceux d'Étienne Balazs sur l'économie et la bureaucratie de la Chine, divers autres essais dus à des Chinois, des Anglais, des Japonais, des Américains nous permettent enfin de traiter avec objectivité de cette question épineuse.
En Chine comme ailleurs, il y a loin de la norme à la pratique. La norme, l'archétype du lettré, nous les connaissons par le fameux chapitre « Ruxing » du Li ji, La Conduite du lettré : « Sincère et loyal en son cœur, il attend les charges publiques ; vertueux de toutes ses forces, il attend les dignités. Tels sont ses principes [...]. Sincérité, loyauté, voilà ses trésors. Il ne demande aucun domaine ; pratiquer la justice est son domaine. Il ne demande point de grandes richesses ; de grandes qualités font son bonheur [...]. Veut-on le tenter par les plaisirs, par l'amour ? Malgré la vue de ces avantages, il n'entame pas sa vertu. La foule lui fait-elle violence, les soldats viennent-ils l'arrêter ? Malgré la vue de la mort, il ne change pas de conduite [...]. Si tyrannique soit le gouvernement, le lettré ne change point ses principes [...]. Lors même qu'en agissant ou qu'en s'abstenant il s'expose au danger, il s'obstine jusqu'au bout de son projet. Ses desseins n'oublient pas les souffrances du peuple [...]. Le lettré recommande les gens de sa famille, sans excepter les plus proches parents ; il propose les étrangers, sans excepter ses ennemis. Il ne mesure que les mérites et les actes. Il choisit les gens de bien et les propose, sans escompter de récompense. Il répond au désir du prince ; son unique souci est le bien du pays [...]. Dans la pauvreté, dans l'abjection, un lettré ne tombe pas comme du blé coupé. Dans la richesse, dans les honneurs, il ne se gonfle ni de joie, ni d'orgueil [...]. Aussi l'appelle-t-on lettré. Ceux qu'aujourd'hui la foule appelle des lettrés n'en sont point. C'est ainsi que lettré devient une injure. » Ce texte, qui date de plus de deux mille ans, exprime donc à la fois l'idéal du lettré-fonctionnaire confucéen et reconnaît que, dès lors, la vie et les mœurs des lettrés ne correspondaient pas à l'idéal du personnage (mais l'imitation de Jésus-Christ est-elle plus scrupuleuse chez la plupart de ceux, catholiques, orthodoxes ou protestants, qui se réclament des valeurs chrétiennes ?). Malgré toutes les critiques dont le mandarinat sera l'objet en Chine durant deux millénaires, l'idéal du mandarin demeure. À la fin de la dynastie mandchoue, dont Les Pérégrinations de Digne Clochard nous conte la décrépitude, les manuels destinés aux écoles supérieures perpétuaient l'esprit du chapitre « Ruxing » du Li ji. C'est ainsi que dans les Jinghun, publiés en 1907 à l'intention des écoles supérieures, on se réfère encore au Canon des poèmes pour définir le parfait fonctionnaire qui « jour et nuit, sans défaillance, exerce respectueusement sa charge » ; et l'on cite Confucius, selon qui le lettré-fonctionnaire « sacrifie sa vie pour sauver sa vertu ».
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Écrit par
- ETIEMBLE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
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CONFUCIUS & CONFUCIANISME
- Écrit par ETIEMBLE
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...et politiques nouvelles. Reste qu'on choisit de préférence les fonctionnaires parmi les gens formés par le confucianisme. Ainsi prenait forme ce qui allait devenir le système des examens et lemandarinat, qui consacre ou suppose la compétence administrative de qui sait par cœur le canon confucéen.