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MANDARINS

... à la pratique du mandarinat

Autre chose hélas l'idéal du mandarinat, autre chose les mœurs des mandarins. Peu après la rédaction du Li ji, quand se décomposait l'empire des Han, les lettrés-mandarins avaient une fois de plus mauvaise réputation : « Quelle différence y a-t-il entre l'honnête homme (le lettré parfait), qui demeure à l'intérieur d'un monde limité, et les poux qui habitent au fond d'un pantalon ? » demande un libertin de cette Chine déliquescente, et donc un peu libéralisée. Outre les romans classiques de la Chine (notamment le Rulin wai shi et le Jin ping mei), il faut lire aussi Li Shang : Mœurs des mandarins sous la dynastie mandchoue, ou Ch'ü T'ung-tsu : Local Government in China under the Ch'ing, ou encore le Xuezhi yi shuo, ces Opinions sur l'apprentissage de l'administration, œuvre de Wang Huizu publiée en 1793, à la fin du règne de Qianlong (1799) et dont Balazs publie d'importants fragments dans sa Bureaucratie céleste : « Ce n'est qu'après avoir acquis un parfait entendement de toutes sortes d'affaires qu'on arrive à instaurer un lien de collaboration entre le magistrat et les intellectuels d'une part, et le peuple d'autre part [...]. Il n'est pas question de prompt succès. Ceux qui sont pressés de se pousser en avant [...] qui courent après les situations lucratives [...] ne se préoccupent aucunement de la population, ils sont indifférents à ses joies et à ses chagrins [...]. Pourquoi appelle-t-on les magistrats des fonctionnaires père-et-mère ? Hélas ! personne n'est obligé de devenir magistrat. Comment peut-on manquer de tenir compte du bien-être de la population ? » On n'y manque hélas que trop souvent et Wang Huizu lui aussi dénonce le mal suprême, la corruption : « À peine si deux ou trois sur dix se conduisent avec intégrité. » Du haut en bas, ce ne sont que nos pots-de-vin. Déjà, au xviie siècle, le parfait prosateur Ling Mengchu, constamment recalé aux examens, se revanchait de la sorte, et à bon droit : « Idiots et imbéciles, à qui la chance sourit, passent tous les examens, si mince que soit leur savoir, ou accèdent à de hautes positions, si quelconques que soient leurs talents militaires. »

De l'imperfection du clergé et de l'indignité de certains papes, plus d'un théologien, qui voit le christianisme subsister depuis deux mille ans, tire volontiers argument en faveur du caractère transcendant et divin de l'Église romaine. Il serait facile et vain d'argumenter de la même façon en faveur des deux mille ans de mandarinat. Puisque, dès la fin des Han, au iiie siècle de notre ère, les inspecteurs des fonctionnaires, ceux qu'on appelait officiellement les « impartiaux et justes », ne recommandaient que leurs proches, les membres de la haute noblesse et les fils de famille, fermant ainsi « pour quatre siècles l'accès des postes élevés aux lettrés pauvres et instaurant un protectionnisme officiel jusqu'au rétablissement de la sélection plus démocratique des examens littéraires par les Tang » (Balazs), et puisque, malheureusement, le système des examens lui-même ni ne sera démocratique en toute rigueur ni ne garantira l'intégrité ultérieure des candidats reçus, comment se peut-il faire que le système des lettrés-fonctionnaires, le mandarinat, ait résisté durant deux millénaires ?

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

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Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

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  • CONFUCIUS & CONFUCIANISME

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    ...et politiques nouvelles. Reste qu'on choisit de préférence les fonctionnaires parmi les gens formés par le confucianisme. Ainsi prenait forme ce qui allait devenir le système des examens et lemandarinat, qui consacre ou suppose la compétence administrative de qui sait par cœur le canon confucéen.