MANET. LES NATURES MORTES (exposition)
Les natures mortes occupent dans l'œuvre de Manet une place considérable : un cinquième de ses tableaux relèvent spécifiquement de ce genre, qui est également présent dans certains portraits ou certaines compositions plus ambitieuses de l'artiste. L'une de ses œuvres les plus célèbres, Le Déjeuner sur l'herbe, autrefois dénommée par l'artiste lui-même Le Bain ou La Partie carrée, ne justifie-t-elle pas son titre par le panier de fruits du premier plan, renversé sur une robe comme il le serait sur une nappe ? L'exposition organisée par le musée d'Orsay sur ce thème (Manet. Les natures mortes, 11 octobre 2000-7 janvier 2001) se justifiait donc pleinement et elle a obtenu un large succès auprès du public.
Manet plaçait très haut la nature morte : c'était pour lui la « pierre de touche » du métier de peintre. Il la pratiqua toute sa vie, mais plus particulièrement à ses débuts, dans les années 1860, et à la fin de sa carrière, lorsque la maladie le confina de plus en plus dans son atelier, à la fin des années 1870. Mais il ne l'abandonna pas complètement entre-temps, ne serait-ce que par l'estampe ou le dessin. Elle constitue donc un véritable fil conducteur, et l'accrochage chronologique de l'exposition en rendait parfaitement compte.
La première salle, consacrée aux débuts de Manet dans le genre, était également centrée sur la question, capitale, de l'apport espagnol, et de la référence majeure constituée par le bodegón : apport évident quant au sujet retenu – guitare, éventail, chapeau de torero – mais aussi quant à l'esthétique même de Manet (simplification des effets lumineux, effacement du décor mettant en valeur la composition, rigueur dans l'organisation des éléments). L'austérité des grands modèles de l'Âge d'or espagnol (Zurbarán en particulier), que Manet connaissait bien, s'étend également à la signification des œuvres, qui peuvent être comprises comme autant de Vanités. Mais la nature morte apparaît aussi dans des œuvres plus ambitieuses dont elle renforce le sens, ce que l'exposition mettait bien en valeur dans la salle consacrée aux tableaux de personnages où figuraient les deux magnifiques portraits de Zola et du critique d'art et sculpteur Zacharie Astruc ; une troisième salle, dévolue aux travaux des années 1860, souvent très décoratifs, regroupait des natures mortes proprement dites où l'influence des maîtres hollandais se superpose à celle, toujours présente, des peintres espagnols.
Des œuvres sur papier étaient réunies à part, quelques esquisses et quelques croquis, mais surtout un précieux ensemble de lettres envoyées par Manet à des intimes, et qu'il illustrait à l'aquarelle en jetant les fleurs ou les fruits sur les mots. Une autre salle abordait la période où la nature morte continue à préoccuper Manet (il copie par exemple Chardin), mais dans un nombre plus limité de toiles. Le paradoxe est qu'il peint alors certaines de ses natures mortes les plus célèbres ou les plus significatives : la Botte d'asperges, acquise par le banquier et historien d'art Charles Ephrussi, et L'Asperge, envoyée plus tard à cet acheteur parce qu'il avait payé plus cher que convenu la première toile, accompagnée de ce mot : « il en manquait une à votre botte », ou encore la toile, toute de concision, offerte à Berthe Morisot pour la remercier d'avoir posé (Berthe Morisot au bouquet de violettes), et où trois objets évoquent cette grande amie de Manet et les relations qu'ils entretinrent : un bouquet de violettes, repris du tableau initial également présent à l'exposition, un éventail et une lettre où se distinguent la signature du peintre et, pour l'adresse, le nom du modèle. La dernière salle, enfin, était entièrement consacrée aux petits tableaux de fleurs que Manet,[...]
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Écrit par
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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