TAFURI MANFREDO (1935-1994)
Architecte de formation, ancré dans le milieu intellectuel de Rome où il était né en 1935, l'historien de l'architecture Manfredo Tafuri n'a cessé, depuis ses premières recherches sur l'œuvre de son aîné romain Ludovico Quaroni, de mettre en cause les idéaux professionnels de ses premiers collègues et les méthodes des historiens de l'art vers lesquels il était attiré.
C'est à l'Institut universitaire d'architecture de Venise que Manfredo Tafuri, militant actif du Parti communiste italien, trouve à partir de 1968 non seulement un havre institutionnel, mais aussi une équipe qui lui permet de développer ses recherches et de fonder un programme pédagogique novateur. Il avait participé au début des années 1960 à la rédaction de la revue Casabella-Continuità, dirigée par Ernesto Nathan Rogers, qui poursuivait alors le dessein d'une “révision critique” de l'histoire du mouvement moderne. À l'Institut de Venise, où architectes romains et milanais avaient trouvé un terrain neutre de collaboration, la rencontre de Massimo Cacciari, de Francesco Dal Co, de Marco de Michelis et d'autres jeunes historiens encourage Tafuri à radicaliser sa critique de l'“histoire opérative” de Bruno Zevi. En opposition à une démarche visant à fournir des indications immédiatement utiles à la conception architecturale, voire des recettes, Tafuri s'interroge dès son premier livre important, Théories et histoire de l'architecture, sur les contradictions internes aux théories et aux projets des avant-gardes européennes des années 1920, mettant en évidence leur accord avec les entreprises de rationalisation capitaliste.
Sur la base de ces réflexions, Tafuri constitue alors une équipe qui restera pendant une quinzaine d'années la plus productive de toutes celles qui furent actives dans l'Europe d'après 1968, et sans doute la première à mettre en œuvre dans le champ de l'architecture les méthodes issues de la lecture de Roland Barthes, de Michel Foucault et de Walter Benjamin. Avec ses collègues et assistants, il mène à bien un ensemble de chantiers collectifs exemplaires sur l'art et l'architecture de l'avant-garde russe, sur l'urbanisme américain et sur l'architecture de la réforme sociale en Allemagne. Refusant la vénération des maîtres tels que Le Corbusier, Frank Lloyd Wright ou Walter Gropius, l'équipe du département de l'histoire de l'Institut de Venise ouvre de nouveaux fronts de recherche et bouleverse la compréhension antérieure du rapport entre novation formelle et politiques publiques.
Au début des années 1980, Manfredo Tafuri déplace presque complètement son dispositif de recherche. Considérant son travail sur les avant-gardes du xxe siècle comme terminé après la publication de La Sfera e il labirinto, il renouvelle désormais la réflexion sur la Renaissance à Venise par ses enquêtes sur la construction de l'église de San Francesco della Vigna ou sur la modernisation d'ensemble de la ville au xvie siècle. Il se rapproche alors des techniques de l'histoire des Annales, interprétant les transformations de l'espace urbain et du métier d'architecte comme autant d'épisodes d'une histoire générale du travail, et assimilant les grands chantiers vénitiens à une expérimentation continue. Cet intérêt pour l'urbain n'empêche pas cependant Manfredo Tafuri de réfléchir sur les œuvres de Raphaël, de Jules Romain ou d'Andrea Palladio, dans l'analyse desquelles il investit tant son exceptionnelle érudition et son acharnement archivistique que sa capacité d'architecte à restituer les schèmes de composition des édifices.
Foisonnants et stimulants, les livres de Tafuri connaissent dès le début des années 1970, en dépit d'une densité d'écriture qui lui sera parfois reprochée par[...]
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Écrit par
- Jean-Louis COHEN : architecte, historien, professeur à l'Institut français d'urbanisme, université de Paris-VIII, et à l'Institute of Fine Arts, New York University
Classification
Autres références
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CRITIQUE ARCHITECTURALE
- Écrit par Valérie DEVILLARD et Hélène JANNIÈRE
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