MANICHÉISME
L'expansion du manichéisme
L'histoire du manichéisme ne se comprend bien qu'à condition de tenir compte du caractère et de la portée que Mani a entendu attacher à sa propre Révélation, du but et du rôle qu'il a en conséquence assignés à l'Église fondée par lui. Élargissant et adaptant à son profit une conception vraisemblablement empruntée à l'elkhasaïsme, Mani se donne pour le dernier successeur d'une longue suite de Messagers célestes envoyés l'un après l'autre à l'humanité, et dont, à partir d'Adam, Zoroastre, le Buddha et Jésus sont les principaux. À ce titre, il ne prétend pas être seulement l'incarnation la plus récente du « Vrai Prophète », mais le « Sceau des prophètes », l'Envoyé, le Révélateur suprême. Suprême, parce qu'il constitue l'ultime maillon de cette chaîne d'« Apôtres » successivement apparus tout au long de la durée cosmique et qu'après sa venue le monde, déjà entré dans la douzième et dernière période de son existence, n'a plus qu'à se convertir et à disparaître. Suprême, aussi, parce qu'il s'identifie à l'Illuminateur parfait ou, en termes chrétiens, au Paraclet dont le Christ avait promis l'envoi. Alors que les enseignements de ses prédécesseurs n'étaient que partiels, voilés, obscurs et ont été, en outre, mal compris, défigurés, voire trahis, par les disciples qui les ont rédigés et codifiés, la Connaissance dont Mani dévoile au grand jour tous les secrets, et dont, au surplus, il prend soin de fixer lui-même par écrit le contenu, est censée être l'expression claire, immédiate, totale de la Vérité, la « Gnose » plénière, le Savoir absolu. Par là, outre qu'il inclut en lui l'essentiel des Révélations antérieures et en fournit la clef, le message apporté par l'Envoyé de la Lumière a signification et valeur universelles, et la religion dont il fait le fond, et qui a charge d'en assurer la conservation et la transmission, ne peut être, elle-même, qu'« œcuménique ». Du moins Mani estime-t-il que la sienne est destinée à supplanter toutes les autres avant la fin des temps et la juge-t-il capable, en vertu de son évidence et de sa certitude intrinsèques, de gagner à elle le monde entier, de finir par le conquérir et par en devenir l'unique religion. Parce qu'elles ne détenaient qu'une vérité incomplète, les Églises instituées par Zoroastre en Iran, par le Buddha en Orient, par Jésus en Occident, n'ont – constate-t-il – réussi à s'implanter qu'ici ou là, en telle ou telle région distincte et bornée. Dépositaire de la Vérité intégrale, son Église ne doit, au contraire, connaître aucune limite à sa diffusion : « Mon espérance, déclare Mani, ira vers l'Occident et elle ira aussi vers l'Orient, et l'on entendra la voix de son message dans toutes les langues, et on l'annoncera dans toutes les villes. Mon Église est, sur ce point, supérieure aux Églises qui l'ont précédée. Car ces Églises étaient « élues » en des pays particuliers et dans des villes particulières. Mon Église, elle, se répandra dans toutes villes, mon Évangile touchera chaque pays. » Universelle en droit et appelée à le devenir en fait, l'Église manichéenne est ainsi vouée, dès le départ, à un idéal et une tâche missionnaires. La propagande, la conversion de l'univers lui sont un devoir permanent. Prenant à cet égard, comme à bien d'autres, modèle sur Paul, Mani a voulu être avant tout et, par ses voyages incessants, a été « le serviteur de la religion », l'Apôtre itinérant qui lance à travers le monde l'appel de Vie, le cri du Salut, cette invitation à l'Éveil et à la Libération que les meilleurs de ses disciples doivent avoir à cœur de reprendre et de répéter en tout[...]
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Écrit par
- Henri-Charles PUECH : membre de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur honoraire au Collège de France, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
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