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MANICHÉISME

Les Écritures

Religion œcuménique, missionnaire, de droit et de fait, le manichéisme est, tout aussi fondamentalement, une « religion du Livre ». À certains égards, c'est même parce qu'il repose sur un corps d'Écritures unes et intangibles qu'il se croit en état de promettre à sa propagande un succès universel et définitif. Pour lui, en effet, la raison principale de la rapide décadence des religions qui l'ont précédé gît dans le fait que leurs fondateurs n'ont pas rédigé eux-mêmes les révélations dont ils étaient gratifiés et qu'ils ne communiquaient que par voie orale. Le Buddha, Zoroastre, Jésus n'ont rien écrit. Leur enseignement n'a été codifié que postérieurement et par des disciples qui n'en ont retenu qu'une partie ou en ont imparfaitement saisi le sens, l'ont déformé ou additionné d'éléments étrangers. Les Écritures ainsi transmises ont donné naissance à des interprétations divergentes, donc à des hérésies. Pour garder à jamais son Église de tels risques, en même temps que pour assurer l'unité doctrinale du message que celle-ci avait charge de répandre, Mani, au contraire, a pris soin de consigner, par écrit et de sa propre main, sa Révélation et de canoniser de son vivant les ouvrages où il l'exprimait. L'« Église de la Vérité », où qu'elle se trouve, s'appuie en principe sur un corps de livres canoniques, au contenu fixé une fois pour toutes, que les scribes ont le devoir de copier sans altération, les propagandistes de traduire littéralement, et qui sont censés renfermer en toute clarté et dans toute son ampleur la Science intégrale, totale, enfin, et explicitement révélée par le Maître suprême.

Comme permettent notamment de l'établir les indications concordantes fournies par les documents coptes du Fayoum et par le Compendium de la religion du Buddha de Lumière, Māni (provenant des grottes de Dunhuang), ce canon comprenait sept écrits dus (ou attribués) à Mani, tous originellement composés en syriaque ou en araméen oriental :

– L'Évangile vivant (nommé aussi le Grand Évangile, l'Évangile d'Aleph à Tau), dont le nombre des chapitres correspond aux vingt-deux lettres de l'alphabet syriaque. Le prologue, dont, grâce aux fragments de Tourfan M 17 et M 172, on ne possédait que des débris, en est aujourd'hui restitué au complet par le codex grec d'Oxyrhynchos dont vient de s'enrichir la collection de papyrus de Cologne. Pour le moment, et en attendant la publication des commentaires et des homélies concernant l'Évangile vivant que paraissent contenir quelques-uns des écrits retrouvés au Fayoum, tout le reste n'est connu que par bribes ou par allusions.

– Le Trésor de vie (ou des vivants, ou Trésor tout court), dont quelques passages sont cités par Augustin, par Évodius d'Uzalum et par al-Bīrūnī.

– Le Livre des secrets (ou des mystères), dont les titres des dix-huit chapitres sont fournis par Ibn al-Nadīm et certains extraits par al-Bīrūnī.

– La Pragmateia, c'est-à-dire le Traité, probablement un traité de caractère systématique ou scientifique concernant la cosmogonie ou, tout au contraire, selon une interprétation récente, un recueil de récits légendaires.

– Le Livre des géants, recueil de récits légendaires se rapportant aux premiers temps de l'humanité et combinant avec des traditions iraniennes des données empruntées pour la plupart à une version araméenne, plus ou moins particulière, du Livre d'Hénoch, dont certains débris ont été retrouvés à Qumrān. Il y était aussi fait usage, semble-t-il, de la source ou de l'une des sources où a puisé de son côté l'Apocalypse d'Adam découverte parmi les écrits gnostiques coptes de Nag Hammādi. Tous les fragments subsistants de l'ouvrage jusqu'ici repérés ont[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur honoraire au Collège de France, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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Investiture de Bahram I<sup>er</sup> - crédits :  Bridgeman Images

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