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MANICHÉISME

La communauté manichéenne

Comme ces prescriptions ne peuvent être observées à la lettre et dans la même mesure par tous, le manichéisme n'en exige la pratique rigoureuse que des meilleurs de ses fidèles. Force lui a été d'en venir à codifier une sorte de « double morale », à édicter deux régimes distincts d'observances et de règles de conduite, l'un relâché, qu'il concède par pure tolérance aux plus faibles, aux plus imparfaits de ses adeptes (ici désignés par le nom d'« auditeurs » ou de « catéchumènes »), l'autre strict, qu'il réserve à une élite, à ceux d'entre eux qui, appelés aussi « parfaits » ou « saints », appartiennent à la classe supérieure des « élus ». Les auditeurs sont simplement tenus à se conformer à un « décalogue », à un code de dix commandements, qui leur est spécialement approprié : ne pas se livrer à l'idolâtrie ou à la magie, ne pas mentir, ne pas se montrer avare, ne pas tuer, ne pas commettre d'adultère, ne pas faire preuve de duplicité ni de mollesse, ne pas négliger les exercices de piété. À part cela, il leur est permis de s'adonner à toutes sortes d'activités profanes ; ils sont libres de posséder, de bâtir, de semer, de récolter, d'être agriculteurs, artisans ou commerçants, de manger de la viande et de boire du vin, de se marier ou de vivre avec une concubine, d'avoir des enfants. Sans doute certaines de ces actions sont-elles susceptibles d'être, en un sens, tenues pour des œuvres pies, dans la mesure où elles tournent à l'avantage de l'Église, où elles tendent à fournir, selon le terme manichéen, des « aumônes » destinées aux élus, la maison édifiée se prêtant à servir de lieu du culte, le pain récolté et confectionné, la nourriture préparée pouvant contribuer à alimenter les saints, l'enfant engendré permettant de grossir un jour le nombre des recrues, et ainsi de suite. Il n'en reste pas moins que de pareils actes sont en soi autant de péchés – ou, tout au moins, d'attentats contre la Vie – et de souillures, qui enlèvent à l'auditeur tout espoir d'être sauvé dès la fin de son existence actuelle. Considérés comme de « bonnes œuvres » et momentanément pardonnés, ils ne peuvent que lui assurer la chance de renaître plus tard dans le corps d'un élu. Pour les parfaits, au contraire, les interdits ascétiques sont absolus. Tout achat, toute richesse, toute possession, la moindre occupation mondaine sont, dans leur cas, condamnés. Ils n'ont droit qu'à un repas par jour et à un seul vêtement pour l'année ; leurs jeûnes sont rudes, longs et fréquents. Outre cinq commandements particuliers, la règle des Trois Sceaux est imposée à l'élu dans toute sa rigueur : il doit sans défaillance ni exception se conformer au « sceau de la bouche », c'est-à-dire s'abstenir de la nourriture carnée, du sang, du vin, de toute boisson fermentée, comme de toute parole blasphématoire ; obéir au « sceau de la main », c'est-à-dire ne commettre aucune action, ne faire (à moins de l'accomplir pour le bien de l'Église et en vue de l'apostolat) aucun geste capable de léser en quoi que ce soit la Croix de Lumière ; observer le « sceau du sein », c'est-à-dire garder la continence la plus sévère, éviter tout contact ou tout commerce charnel, s'interdire de procréer.

L'élu serait ainsi à peu près entièrement détaché du « monde » et, par là, du Mal, s'il ne lui était pas, en fait, nécessaire de se nourrir ou, pour prendre les choses de plus haut, s'il n'avait pas pour devoir de se sustenter et de persévérer à vivre dans le monde afin d'y prêcher la bonne doctrine et d'y mener, de toutes ses forces, le combat contre le Mal. Pareille obligation pose un problème, apparemment insoluble en principe,[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur honoraire au Collège de France, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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Investiture de Bahram I<sup>er</sup> - crédits :  Bridgeman Images

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