MANIFESTATION
Définie comme une démonstration collective d'une opinion dans l'espace public, la manifestation devient une modalité d'action spécifique quand se tourne la page des révoltes et des révolutions. Déployée sur le même terrain que les cortèges processionnels, religieux ou corporatifs, et les attroupements, émeutes ou insurrections, constitutifs du répertoire traditionnel de la mobilisation collective, elle peut emprunter aux premiers mais, par essence, se distingue des seconds. Ceux-ci, spontanés, se caractérisent par le rapport d'immédiateté qu'ils entretiennent avec leurs causes ou leurs objectifs (spatialement et temporellement confondus), en impliquant souvent la violence. La manifestation suppose la prévision, la programmation et l'existence d'appels à manifester. Elle nécessite, sinon l'inscription dans une stratégie, du moins l'existence d'organisateurs capables d'une certaine maîtrise des foules, tenues à l'écart des mouvements de désespoir et de révolte que le rapport des forces conduirait à l'échec pour être, au contraire, mobilisées quand il devient favorable. Elle introduit, donc, une relation distanciée au temps de la politique et de l'histoire qui cesse de relever de l'immédiateté et de l'urgence. Ainsi définie, elle trouve toute sa signification avec l'émergence et l'affirmation des démocraties parlementaires.
La manifestation dans les démocraties occidentales
Cette forme d'expression jouit d'une tolérance précoce en Grande-Bretagne et aux États-Unis où toute mobilisation de l'opinion publique est tenue pour un baromètre de la légitimité politique. Il en va de même en Belgique, en vertu de la constitution de 1830, et dans certains États allemands, s'agissant des « parades ». Tous ces États font figure de modèles (parfois idéalisés) pour les individus qui se heurtent alors à des interdits dans leurs pays.
De 1886 à 1910, des manifestations s'organisent pour l'obtention du suffrage universel en Belgique, en Finlande, en Suède, en Saxe, à Hambourg, en Autriche puis en Prusse. Ces mobilisations politiques, parfois interdites au nom de l'ordre public, ne souffrent d'aucune illégitimité dès lors qu'elles précèdent son avènement. Elles disparaissent une fois ce suffrage instauré et, dès lors, ne lui font pas concurrence.
La dépression qui frappe l'Europe et culmine en 1885-1886 amène les chômeurs à manifester en Finlande, en Belgique ou en Grande-Bretagne, où les pouvoirs publics interviennent sur un mode répressif inédit et concèdent désormais moins libéralement l'usage de l'espace public. En France, ils s'essaient sans succès à des « meetings » sur la place publique, empruntant ostensiblement au modèle anglais. À partir de 1890, le 1er mai constitue une autre occasion de manifestations transnationales, dans des formes qui diffèrent selon les États : puissante démonstration à Londres en 1890, cortèges ritualisés en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Italie ou en Belgique, « mises en demeure » auprès des pouvoirs publics en France. Avec les défilés de sociétés de toute espèce, baptêmes de drapeaux ou cortèges appendices de grèves, ils constituent l'occasion d'apprentissage du cortège ordonné pour les manifestants et les forces de l'ordre.
Partout s'affirment des systèmes nationaux dotés de règles et de rites propres, souvent tacites, qui doivent leur spécificité au Droit, aux modalités du maintien de l'ordre, aux matrices historiques et culturelles distinctes d'un pays à l'autre, et aux relations que la culture politique dominante entretient avec l'Église et l'armée. Même si certaines manifestations empruntent à une symbolique internationale (drapeau rouge, Marseillaise puis Internationale...), les systèmes nationaux[...]
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Écrit par
- Danielle TARTAKOWSKY : professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-VIII
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