MANILLE, jeu de cartes
Immortalisée par la célèbre partie de cartes du Marius de Pagnol (1929), la manille est un jeu d'origine ibérique resté populaire dans de nombreuses régions de France, particulièrement dans le Nord et dans le grand Sud-Ouest.
Dans sa version simple, la manille se joue à quatre, deux contre deux. On y utilise un jeu de 32 cartes, où les cartes suivent l'ordre décroissant dix, as, roi, dame, valet, neuf, huit, sept. Le dix ou « manille » vaut cinq points, l'as ou « manillon » vaut quatre points, le roi trois, la dame deux, le valet un. Chaque levée rapporte en outre un point à l'équipe qui la fait. La manille est en effet un jeu de levées avec atout pour les points. Autrement dit, c'est le camp qui accumule le plus de points faits dans les levées qui gagne la partie. Le total des points étant de 68, il faut atteindre au moins 35 points pour gagner. Le donneur fait couper et distribue à chacun huit cartes en donnant deux par deux. Il retourne ensuite la dernière – qu'il s'est donnée – car celle-ci indique la couleur de l'atout. Le premier à jouer pose une carte sur la table. Le suivant doit suivre à la couleur et monter s'il le peut ou, à défaut, couper et même surcouper, si l'adversaire a entamé atout. Mais si le partenaire est maître, on n'est tenu ni de monter, ni de surcouper. À la fin de la partie, chaque camp compte les points faits dans les levées.
La manille a paru trop simple peut-être, ou trop silencieuse. On a donc vu fleurir une manille parlée aux expressions brèves et pittoresques, parfois codifiées (Pique ? — Ma part ; Atout ? — Deux). Cette forme, si prisée dans les années 1930 et juste après la guerre, autorise les partenaires à échanger – sous certaines conditions – des informations sur leur jeu. Mais il existe aussi une manille coinchée (c'est-à-dire avec un contre), une manille avec un mort, une manille aux enchères, le plus souvent jouée à trois chacun pour soi, une manille à l'envers (éviter de faire des points) et une variante nommée dix-sept (à quatre, chacun pour soi).
Vieille concurrente de la belote, la manille ne cache pas ses origines espagnoles. Son nom vient de malilla, « petite mauvaise » (du latin malus). Mais, avant de désigner un jeu, le mot manille a longtemps servi à qualifier le second atout de l'hombre et de ses multiples dérivés aux xviie et xviiie siècles. La manille actuelle a sans doute pris naissance en Espagne au xviiie siècle. Ses règles sont exposées pour la première fois dans un étrange livre paru à Madrid en 1753 : Libro nuevo : quexas de Pedro Bueno, [...] fundadas sobre lo mal que le ha surtido el juego de malilla,d'un certain Alphonso Pérez del Castillo. Ce livre fut traduit, ou plutôt adapté, en français en 1776 sous le titre Le Jeu de la malille.
Il faut attendre cependant plus de cinquante ans pour voir le jeu s'acclimater durablement en France. En effet, en 1847 est imprimé à Bordeaux un Règlement du jeu de la manille – avec un n, cette fois –, véritable confirmation de sa naturalisation. La forme décrite y est la plus simple ; le dix ne s'appelle pas encore manille, ni l'as manillon. Très vite, le jeu se répand à partir du Sud-Ouest, qui en forme incontestablement le berceau français.
À la manille muette, présentée comme ordinaire, Le Salon des jeux (1875) ajoute la manille parlée. En 1883, paraît à Enghien-les-Bains un Historique et règle du jeu de la manille, par Gégé, qui fit longtemps autorité. Dès lors, le jeu connaît une ascension continue que marque une floraison de manuels publiés entre 1880 et 1914. Suprême consécration, la manille désormais « parlée » monte sur les planches : avant le Marius de Pagnol (1929), le Boubouroche de Courteline (1893) avait mis en scène une étonnante partie de cartes. Muette, parlée, aux enchères, coinchée, la manille prend[...]
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Écrit par
- Thierry DEPAULIS : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu
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