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FARBER MANNY (1917-2008)

Né en 1917 à Douglas, Arizona, et mort en 2008 à Leucadia, près de San Diego, Manny Farber était sans conteste le plus grand critique de cinéma américain. S'il ne fut pas aussi célèbre que James Agee, Pauline Kael ou Andrew Sarris, son aura auprès des amateurs américains et européens fut à nulle autre pareille. La raison d'une telle prééminence trouve sa source dans la singularité de l'individu. D'abord peintre, puis charpentier, il devint critique en 1942, succédant à Otis Ferguson à The New Republic, puis à James Agee à The Nation. Il abandonna l'exercice de la critique au milieu des années 1950, mais reprit cette activité dix ans plus tard avec une série de textes publiés notamment dans la revue Artforum ; il interrompit à nouveau sa pratique critique pour y revenir dans les années 1970, inaugurant un nouveau mode d'écriture avec sa compagne Patricia Patterson. Le travail critique n'est ainsi qu'une partie de l'œuvre de Farber qui se fit aussi connaître comme peintre, et enseigna plus de quinze ans le cinéma à l'université de Californie à San Diego, où il eut pour collègues, collaborateurs et amis les cinéastes Babette Mongolte et Jean-Pierre Gorin. Manny Farber rassembla ses textes les plus importants dans un ouvrage intitulé Negative Space. Publié en 1971, le livre devint rapidement une bible pour les cinéphiles avertis ; la version complétée de 1998 a été traduite en français (Espace négatif, 2004).

Farber est un écrivain, un perfectionniste qui considère à juste titre que le discours sur le cinéma est le plus difficile qui soit. Il a grandi dans l'Arizona, et sa famille habitait juste en face d'une salle qui projetait des films avec Buck Rogers, Tom Mix ou Lon Chaney. Grandes vedettes du muet et premières extases spectatorielles pour le jeune Manny Farber : « J'aimais les films de cow-boys et les films burlesques. Presque dès le début j'ai détesté les films M.G.M. ; à cette époque, c'était apparemment la Warner contre la M.G.M. et ma famille était pour la Warner – mais nous regardions tout. » L'évocation range d'emblée Farber du côté des Erwin Panofsky ou des Stanley Cavell, mais aussi des écrivains français comme Louis Delluc, Jean-George Auriol ou Robert Desnos, tous amateurs du joujou du pauvre, de l'art populaire se méfiant de la prétention esthétique, du cinéma qui s'invente sui generis à mille lieues des aventures du film d'art. Quand il commence à écrire sur le cinéma, le critique s'impose pour une longue quinzaine d'années avec une autorité comparable, de l'autre côté de l'Atlantique, à celle d'André Bazin, son exact contemporain. Mais ses goûts retrouvent plutôt ceux de la jeune garde des Cahiers du cinéma – et Farber se sentira toujours très proche de la sensibilité d'un Jean-Luc Godard.

Les textes de la première période imposent des auteurs (Howard Hawks, Raoul Walsh, Preston Sturges, Samuel Fuller, William Wellman) et surtout un goût fidèle à ses impressions premières que Farber théorise en 1962 dans un texte célèbre, où il oppose l'art « éléphant blanc » à l'art « termite ». Le premier (représenté par les films M.G.M., mais aussi par William Wyler, le premier Orson Welles, Mankiewicz, Antonioni ou encore le Truffaut de Jules et Jim...) se fonde sur une idée de la maîtrise et du contrôle destinée à aboutir à un chef-d'œuvre programmé et sans vie. Le second (incarné par les petits films de Leo McCarey pour Laurel et Hardy, les dessins animés de Chuck Jones, les comédies de Sturges, les westerns de Wellman, les films de guerre de Fuller) trouve au contraire son efficacité dans l'acte de creuser et de saturer un espace – comme la termite – pour en aborder un autre. Mais ces textes imposent surtout une écriture. Quand il évoque le documentaire[...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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