OLIVEIRA MANOEL DE (1908-2015)
Théâtre, peinture, cinéma
On pourrait rapprocher l'art d'Oliveira de celui d'Ozu. Art de la politesse, de la délicatesse ; chez les deux cinéastes, l'utilisation de la frontalité inspire une attitude de communion « entre toi et moi, entre le spectateur et l'œuvre d'art » (Paul Schrader). S'il existe ici un caractère transcendantal de l'œuvre, ce serait au sens kantien du concept : le temps se présente à l'état pur, l'image-temps – pour reprendre les catégories développées par Gilles Deleuze – succède à l'image-mouvement. Nous entrons bien dans un nouveau régime de l'image.
En 1986, Oliveira réalise Mon Cas à la maison de la culture du Havre, alors dirigée par Raul Ruiz : « Film jubilatoire consacré à l'un des sujets les plus universels qui soit : l'homme qui se plaint de son sort et qui trouve toujours son cas plus intéressant que les autres. » Dans ce film, le cinéaste approfondit sa réflexion sur le rapport entre le théâtre et le cinéma. Plus largement, il s'intéresse aux médias, à ce moyen de fixation audiovisuelle que sont les caméras de cinéma, de télévision, de vidéo : « Le secret du cinéma, c'est qu'il est un procédé de mémoire qui fixe, reste le fantôme de la vie. Mon Cas a un rapport avec l'histoire du cinéma. J'ai filmé un théâtre, une représentation. Je rends au passage un hommage au cinéma muet. » Par ailleurs, les références picturales sont nombreuses : la Cité idéale de la Galeria nazionale delle Marche, à Urbino, La Joconde et Guernica. « La ville idéale manifeste un désir profond de l'homme de trouver la solution. Mais il n'y en a pas, comme dans les amours frustrées. Dans Guernica, il n'y a pas d'ironie, mais chez Vinci il y en a trop : on ne peut pas atteindre la perfection » (Oliveira).
Avec Les Cannibales (1988), Oliveira adapte cette fois un conte d'Alvaro de Carvahal. Cet opéra dont la musique est signée João Paes a été tourné dans des décors extérieurs somptueux, à Sintra, dans la froideur néo-classique du palais d'Ajuda. Dominent l'humour noir, la satire, la farce, et la ronde finale, avec son renversement carnavalesque, n'est pas le moindre intérêt du film. Un projet ancien et ambitieux d'Oliveira parvient à son point de réalisation en 1990 : il s'agit de Non, ou la Vaine Gloire de commander, ample méditation sur l'histoire du Portugal, des origines aux guerres coloniales. L'art d'Oliveira allie avec bonheur une grande rigueur dans les cadrages à un lyrisme contenu et une délicatesse de touche qui n'appartiennent qu'à lui.
On peut préférer à La Divine Comédie (1991) le superbe Jour du désespoir (1992) où le cinéaste retrouve sa verve, sa finesse et son humour très macabre. Il y retrace les derniers jours de l'écrivain Camilo Castelo Branco, que son obsession pour la mort conduit au suicide. Par un effet de distanciation cher à l'auteur, le cinéaste fait d'abord parler les comédiens qui ont à interpréter le rôle de l'écrivain et celui de sa compagne Ana Placido. On passe ainsi constamment du documentaire à la fiction. La musique de Wagner forme un contrepoint romantique à l'image. Et tous les documents présentés sont rigoureusement authentiques. Cette méditation sur la mort en demeure des plus troublantes. Ce qui n'empêche pas l'humour : « Quel froid ! », murmure une voix off à la fin du film, cependant que la caméra fixe la flamme vacillante d'une chandelle posée sur la stèle funéraire de l'écrivain défunt.
« Chant de la terre » d'une profonde sensualité, Le Val Abraam (1993) peut apparaître comme une somme oliveirienne. Le retour au Douro – n'oublions pas que l'auteur s'est consacré à la viticulture des années durant – résonne ici comme un hommage[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre TOUATI : historien du cinéma
Classification
Média
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