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OLIVEIRA MANOEL DE (1908-2015)

La liberté de créer

L’œuvre de Manoel de Oliveira ne néglige ni la voie ouverte par Louis Lumière – la description – ni la voie ouverte par Georges Méliès – la représentation. En associant de façon féconde et constante le réel et sa réfraction, elle n'en finit pas d’inventer. Le metteur en scène ne cesse de tourner, proposant des œuvres aussi libres que Le Couvent (1995, avec Catherine Deneuve et John Malkovich), Voyage au début du monde (1997, avec Marcello Mastroianni), Je rentre à la maison (2001, avec Michel Piccoli) ou Belle toujours (2006), une variation sur Belle de jour de Buñuel, avec Bulle Ogier et Michel Piccoli. On lui doit également Singularités d’une jeune fille blonde (2009), d’après le roman de Eça de Queirós.

Il faut faire une place à part à L’Étrange Affaire Angélica (2010), qui résume un certain nombre des préoccupations éthiques et esthétiques de Manoel de Oliveira, à commencer par le caractère artisanal de son travail et, sur le plan thématique, son profond attachement à la région du Douro qui l’a vu naître. « Je travaille à l’ancienne », ne cesse de répéter son héros, le jeune photographe Isaac, sorte de double du metteur en scène, d’ailleurs interprété par son petit-fils, Ricardo Trepa. Le scénario du film, écrit en 1952, fut constamment repoussé ou ignoré par la censure salazariste de l’époque, qui en considérait le sujet – la passion d’un photographe pour une jeune morte – comme démoralisateur. Avec Christophe Colomb, lénigme (2008), Oliveira s’interroge sur les figures du marranisme portugais. Le terme marrane désigne les Juifs de la péninsule Ibérique contraints, à partir du xve siècle, de se convertir au catholicisme, mais qui pratiquaient clandestinement leur première religion. Oliveira fait sienne la théorie selon laquelle Colomb appartiendrait à une famille d’ascendance juive.

Dans L’Étrange Affaire Angélica, le jeune Isaac est un photographe exilé d’origine séfarade. Oliveira insiste sur la compassion qu’il a éprouvée, lors de la Deuxième Guerre mondiale, pour les exilés réfugiés au Portugal en grand nombre. Le film constitue une sorte d’œuvre testamentaire où les figures de la transmission et les mystères de la reproduction photographique, auxquels vient s’ajouter une tonalité sombre héritée du romantisme allemand, créent une réalité seconde. Le cinéma de Manoel de Oliveira s’inscrit dans le droit fil des théories d’André Bazin, qu’il a du reste rencontré au Portugal : c’est un art de la synthèse, de tous les autres arts (peinture, musique, théâtre), un « art impur ».

Dans son ultime film Le Vieillard du Restelo (2015), Oliveira noue une forme de dialogue des morts, entre son cher Camões, l’auteur des Lusiades, et Don Quichotte, qui n’est autre qu’un double de lui-même. Enfin La Visite ou Mémoires et confessions (réalisé en 1982), dont le metteur en scène souhaitait qu’il ne fût projeté qu’après sa mort, est l’évocation de la maison familiale, une maison d’architecte que son père avait fait construire et que, pour des raisons financières, Oliveira fut contraint de vendre.

Au Portugal, les cinéastes qui ont suivi n’ont cessé de se réclamer de celui qu’ils considèrent comme un maître. Paulo Rocha, comme lui homme du Nord, de Porto, réalisa avec Oliveira l’architecte (1993) – dans la série télévisée de Janine Bazin, « Cinéastes de notre temps » – un subtil et malicieux exercice d’admiration. La nouvelle génération portugaise, qu’il s’agisse de Miguel Gomes ou de João Pedro Rodrigues, reconnaît elle aussi sa dette à l’égard du maître de Porto.

— Jean-Pierre TOUATI

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Manoel de Oliveira - crédits : Estela Silva/ EPA

Manoel de Oliveira

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