MANOLO MANUEL MARTÍNEZ HUGUÉ dit (1872-1945)
Plus connu sous le nom de Manolo, Manuel Martínez Hugué est le fils naturel du général Benigno Martínez. Sa mère, Anna Hugué, meurt alors qu'il est encore enfant ; des parents le recueillent. L'adolescent, abandonné à lui-même, hante les lieux les plus mal famés de Barcelone, côtoie la pègre, vit d'expédients ; il mène, en cette fin du xixe siècle, l'existence d'un parfait pícaro. De cette adolescence barcelonaise datent pourtant ses premiers essais dans le domaine de la sculpture ; mais ces essais sont rares ; la plus grande partie de son temps et de son talent, Manolo doit l'employer à survivre.
En 1900, il part brusquement pour Paris. Là, la misère continue à le poursuivre et l'ingéniosité du pícaro est mise à rude épreuve. Il fait tout de même quelques sculptures et fréquente assidûment le Louvre. Il a retrouvé à Paris son ami de toujours, Picasso. Il y rencontre Alfred Jarry, Apollinaire, Max Jacob, Albeniz et devient le familier de Fargue et de Moréas. L'auteur du Manifeste du symbolisme célébrera, dans un quatrain teinté d'humour, la virtuosité dialectique du sculpteur.
En 1910, après dix années de bohème parisienne, Manolo se sent las de cette vie misérable et traquée ; la soif d'un accomplissement dans la solitude, l'exigence de l'œuvre à venir le poussent à fuir Paris et à se fixer dans la petite ville de Céret (Roussillon), au milieu d'un paysage d'oliviers et de chênes-lièges qui lui faisait dire qu'il s'était installé « chez Virgile ». Un contrat avec D. H. Kahnweiler le met désormais à l'abri de la faim. Manolo quittera Céret en 1917, mais y reviendra en 1919. En 1928, il s'installe définitivement près de Barcelone, dans le village de Caldas de Montbuy, où il mourra.
Manolo fut, à Barcelone, l'un des premiers amis de Picasso. Mais, lorsque s'achève la « période rose » et que commence l'expérience cubiste, il se refuse à suivre son compagnon sur les chemins de l'aventure ; ou plutôt il n'en éprouve pas la moindre tentation. Au fabuleux royaume que, pendant trois quarts de siècle, va explorer le regard de Picasso il ose préférer son maigre champ pierreux. Car, en sculpture, Manolo ne jure que par les Grecs et ne nourrit d'autre projet que de continuer leur œuvre, en un esprit de très profonde humilité. Et, pourtant, ses sculptures ne donnent jamais l'impression du pastiche. Sans doute l'influence des Grecs y est-elle sensible, mais, grâce à un accent populaire et paysan d'une puissante saveur, s'affirme constamment la personnalité de l'artiste. Modeste dans ses ambitions, l'œuvre de Manolo reste donc à l'écart des grands courants de l'art moderne, mais, à l'intérieur des limites qu'elle s'est elle-même fixées, elle manifeste avec éclat son originalité et sa force ; Les Vendangeuses (1913), Hommes et bœufs (1914), Les Deux Toreros (1922), L'Étreinte (1926) peuvent être cités parmi ses réussites les plus accomplies.
Par une discrète géométrisation des formes, Les Deux Espagnoles (1927) marquent l'extrême avancée de l'œuvre de Manolo en direction du cubisme. Clin d'œil à Picasso sans doute et coup de chapeau, un peu ironique peut-être, à l'« art nouveau » qu'avait prôné son ami Apollinaire. Et pourtant cet exemple suffit à montrer que Manolo, s'il l'avait voulu, aurait pu pousser, aussi loin que beaucoup d'autres, l'exploration des formes nouvelles. Mais telle n'était pas sa vocation.
L'homme n'est guère moins attachant que l'artiste. À tous ceux qui l'ont connu Manolo laisse le souvenir d'un extraordinaire causeur : éblouissant dans le paradoxe, follement drôle dans la blague, féroce dans la satire. De sa dure expérience de la vie et des hommes, cette espèce de « Neveu de[...]
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Écrit par
- Pierre ROBIN : maître assistant à l'université de Provence
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