LARCENET MANU (1969- )
La plupart des auteurs de bandes dessinées à succès ont un style qui leur est propre et auquel ils restent fidèles, de crainte de désorienter leur lectorat. Manu Larcenet, lui, n’a pas hésité, aussi bien dans les thèmes abordés que dans le graphisme, à enchaîner les ruptures, depuis les histoires loufoques de ses débuts dans Fluide glacial jusqu’à la fresque sans espérance de Blast, en passant par l’évocation réaliste et tendre de la société française dans Le Combat ordinaire.
De l’humour en bandes dessinées
Emmanuel « Manu » Larcenet est né le 6 mai 1969 à Issy-les-Moulineaux. En 1994, après des études à l’École des arts appliqués, il commence à collaborer au mensuel Fluide glacial. Il y publie, régulièrement jusqu’en 2006 et de façon intermittente par la suite, de très nombreuses bandes dessinées, toutes humoristiques, mais néanmoins bien différentes. Il commence par parodier les héros télévisés de son enfance, les faisant se rencontrer, l’humour naissant du télescopage de personnages qui n’ont rien en commun – comme le dinosaure humanoïde Casimir ou le cow-boy Josh Randall. Manu Larcenet introduit même des personnages réels, comme Freud, que l’on voit enquêter avec le policier américain Starsky (La Loi des séries, 1997). En 1998, il crée Bill Baroud (quatre albums de 1998 à 2002), un anti-Bob Morane, le héros de romans d’aventures puis de bandes dessinées créé en 1953 par Henri Vernes.
À partir de 2002, Manu Larcenet, quittant la veine de la pure dérision, multiplie les ruptures. Le Retour à la terre (cinq volumes, de 2002 à 2008, sur un scénario de Jean-Yves Ferri) raconte de façon humoristique les péripéties de l’installation à la campagne d’un citadin qui ressemble beaucoup au dessinateur. Dans Minimal (2003), il se moque du sectarisme des auteurs de bandes dessinées qui se veulent d’avant-garde et du dogmatisme de ceux qui les soutiennent, une attaque qu’il prolonge dans Critixman (2006).
C’est avec Le Combat ordinaire, son plus grand succès public et critique, que Manu Larcenets’est révélé un des auteurs importants de la bande dessinée française contemporaine. Cette histoire en deux cent trente planches, publiée en quatre albums (Le Combat ordinaire, 2003 ; Les Quantités négligeables, 2004 ; Ce qui est précieux, 2006 ; Planter des clous, 2008) a pour personnage central Marco, un reporter photographe, dont le lecteur suit l’évolution de 2002 à 2007. Dans ce récit, où l’auteur a manifestement multiplié les allusions autobiographiques,Marco rencontre l’amour, se laisse convaincre d’avoir un enfant, est confronté à la difficulté de gagner sa vie et aux responsabilités de la paternité. Il doit aussi affronter le choc de la mort de son père (qui met fin à ses jours pour échapper à la maladie d’Alzheimer) et la perte de ses repères idéologiques (les dockers avec lesquels travaillait son père ne votent plus à gauche mais pour le Front national). Ce sont donc les préoccupations et les interrogations des trentenaires de sa génération que présente Larcenet dans Le Combat ordinaire. Au réalisme – voire à la banalité – des situations se mêle un humour complice et parfois désespéré, l’auteur se gardant, vis-à-vis de ses personnages, non seulement de tout manichéisme, mais aussi de tout jugement moral.
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Écrit par
- Dominique PETITFAUX : historien de la bande dessinée
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