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FALLA MANUEL DE (1876-1946)

Un art populaire et savant

Le folklore intégré

« Je pense que dans le chant populaire l'esprit importe plus que la lettre. Le rythme, la modalité et les intervalles mélodiques qui déterminent leurs ondulations et leurs cadences constituent l'essentiel de ces chants et le peuple lui-même nous en donne la preuve en variant à l'infini les lignes purement mélodiques de ses chansons. » Ces mots de Falla peuvent s'appliquer à son œuvre jusqu'aux Sept Chansons, où il intègre le folklore dans l'orbite de ses propres procédés. Les deux ballets L'Amour sorcier et Le Tricorne sont comme des élargissements des Sept Chansons, des développements de leurs possibilités.

Mais l'ascétisme insatisfait lui demande un nouvel effort. L'œuvre qui suit est celle du renoncement. Abandonnant la source andalouse, en quête d'une veine castillane où l'art espagnol perd ce qu'il a d'exotique, Falla aborde des chemins plus arides. Il délaisse l'orchestre symphonique au profit de la musique de chambre, afin d'alléger et de concentrer son expression. Les Tréteaux puis le Concerto traduisent cette recherche.

La cantate inachevée

Enfin, sans savoir peut-être que ce renoncement le poussera même, inconsciemment, à ne jamais finir un nouvel ouvrage, il décide de faire de la longue légende catalane L'Atlantide, poème de Jacinto Verdaguer, une cantate à laquelle il travaillera dix-neuf ans sans en entrevoir la conclusion.

À Grenade, pendant la guerre civile (1936-1939), son catholicisme exacerbé sympathise avec les nationalistes, mais sa souffrance sincère devant les massacres lui dicte une conduite : ne se laisser manœuvrer par aucun des deux camps. En 1939, l'Espagne en ruine assiste à l'exil d'une grande partie de son élite créatrice. Vaincu par ses infirmités et incapable de lutter pour un milieu qui a usé une grande partie de ses forces, Falla part pour l'Argentine en compagnie de sa sœur, comme Béla Bartók quelques mois plus tard s'exilera aux États-Unis. À soixante-trois ans, il ne peut recommencer la lutte ; ni son corps ni son tempérament ne soutiendraient ce fardeau. Son seul but est de terminer L'Atlantide, du moins le croit-il parfois.

Après avoir dirigé plusieurs concerts à Buenos Aires, épuisé, il cherche un refuge loin de la grande ville. Il réside à Córdoba jusqu'en 1941, s'installe ensuite en pleine sierra, à Alta Gracia où, harcelé par des difficultés économiques, il vivote jusqu'au matin du 14 novembre 1946, où sa sœur le découvre mort d'une crise cardiaque.

Dans sa version intégrale, L'Atlantide ne devait être jouée que beaucoup plus tard, en 1961, à Buenos Aires. Ernesto Halffter, l'un des rares élèves de Falla pendant ses années de Grenade, acheva les passages incomplets, choisit parmi les ébauches d'orchestration, mit le dernier point d'orgue. L'exécution vint dissiper un doute sur l'importance de cette œuvre. Avec elle, Falla a-t-il atteint les plus hautes cimes de l'expression ? Pour y répondre, il faudrait analyser L'Atlantide telle qu'il l'a laissée et non pas telle que Halffter l'édita. Car celui-ci acheva ce que Falla n'a pu ou voulu finir. Cette cantate, d'ailleurs, n'était-elle pas vouée à rester, pour toujours, inachevée ?

Ni le volume de son œuvre ni son importance historique ne semblent justifier maintenant la place qu'on lui reconnaissait volontiers, près de Ravel, Stravinski, Prokofiev, Hindemith et Schönberg. Seul reste, peut-être, le Concerto, dans le deuxième mouvement duquel Ravel voyait, avec raison, une page capitale de la musique contemporaine. Là, par le dépouillement final qui demande à l'ascèse castillane et à l'esprit mystique la courbe d'une mélodie souvent fragmentée, haletante, hachée, le musicien a trouvé certainement le meilleur de lui-même.[...]

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