MANUSCRITS La critique génétique
Génétique textuelle : l'analyse des manuscrits
Les phases qui viennent d'être décrites dans leurs différents moments permettent de situer chaque élément du dossier de manuscrits sur l'axe d'une évolution, d'un éventuel scénario originaire jusqu'aux corrections de la dernière édition du texte. Mais ce classement chronologique de l'avant-texte n'est pas un donné ; il faut tout d'abord le reconstituer. Ce travail d'analyse des manuscrits est celui de la génétique textuelle, qui se donne pour but de mettre en ordre et de rendre lisible le matériau manuscriptologique sur lequel la critique génétique pourra fonder son étude interprétative.
Les quatre opérations de recherche
L'établissement du dossier
La première opération consiste à collecter l'ensemble des manuscrits se rapportant à l'œuvre étudiée en réunissant les pièces (autographes et allographes) qui peuvent être dispersées dans plusieurs collections publiques ou privées, et dans différents pays. Ce travail d'inventaire et de récupération peut à lui seul demander plusieurs années de recherches et de négociations. En rassemblant son dossier (et en constituant son matériau de recherche sous forme de reproductions : photos, photocopies, microfilms, disques optiques, etc.), le généticien doit s'assurer qu'il est aussi complet que possible, dater les éventuelles pièces antérieures à la rédaction (« faux départs » du même projet) et identifier les différentes « mains » des documents allographes.
La spécification des pièces
La deuxième opération vise à classer chaque pièce du dossier par espèce (plans, notes documentaires, brouillons, manuscrit définitif, épreuves, etc.) et par phase (prérédactionnelle, rédactionnelle, etc.), en réservant un traitement particulier à l'ensemble « brouillons », pour lequel le principe consistera, dans un premier temps, à identifier chaque page manuscrite de brouillon par ses relations de similarité avec le texte définitif. Cette opération de classement, où le présupposé téléologique (posant le texte comme finalité du brouillon) n'a de valeur qu'heuristique, permet de ranger les brouillons en autant de liasses qu'il existe de pages dans le texte définitif : pour la page 23 du manuscrit définitif, on trouvera par exemple neuf feuillets manuscrits ayant visiblement le même contenu, ou un contenu approchant : ce sont les différentes récritures de cette page au brouillon. Pour les retrouver dans le dossier, il faut évidemment avoir commencé à déchiffrer, au moins par sondages, tous les feuillets.
Classement génétique
La troisième opération, principalement centrée sur les « brouillons », sert à affiner le classement par similarité : les différents états rédactionnels de la même page sont analysés et comparés dans chacune de leurs caractéristiques, jusqu'à ce qu'il devienne possible de les redistribuer selon l'ordre chronologique de leur production. Ce classement donnera, pour une page de texte imprimé, un nombre variable de folios où l'on pourra trouver successivement le scénario initial, le ou les scénarios développés, les ébauches et brouillons, les mises au net corrigées, le manuscrit définitif. Ce classement paradigmatique une fois effectué pour chaque page de texte imprimé, il ne reste plus qu'à en reconstituer le chaînage en suivant l'ordre des pages du texte définitif. On voit alors apparaître (avec quelques décalages parfois profonds qui expriment les différences entre les diverses « versions » de l'avant-texte) des séquences de manuscrits, de même niveau d'élaboration, qui se suivent le long de l'axe où se succèdent les différentes parties de l'œuvre définitive. Lorsque ces deux classements (sur l'axe paradigmatique pour les états successifs d'élaboration du même fragment, et sur l'axe syntagmatique pour l'enchaînement de ces différents fragments) sont achevés,[...]
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Écrit par
- Pierre-Marc de BIASI : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de l'Université, docteur en sémiologie, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
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