MANUSCRITS Le patrimoine écrit
Diffusion et conservation
Même restauré, le document est en sursis : chaque consultation l'endommage imperceptiblement. À force d'avoir été manipulés par les lecteurs, des manuscrits du xixe siècle, écrits au crayon, sont devenus définitivement illisibles. Un livre ou un autographe se conserve d'autant mieux qu'il reste à l'abri de la lumière, dans sa réserve, sans être ouvert. Mais il n'y aurait guère de sens à conserver un écrit que personne ne consulterait jamais. D'où l'idée de créer, sous forme de microfilm, des « doubles » du document original qui joueraient le rôle de copies de sauvegarde (conservées en silo pour les cas de catastrophes qui détruiraient l'original) et à partir desquels seraient tirées des copies de consultation manipulables sans danger par les lecteurs. Si le microfilm n'est pas une technologie nouvelle, il présente l'avantage d'un coût modéré ; mais il a aussi des inconvénients : les bobines de microfilm occupent moins de place que les originaux, mais elles en prennent tout de même beaucoup plus que des fichiers numériques ; les microfilms, par définition, ne sont consultables que sur le mode séquentiel, ce qui est malcommode pour le classement, pour la consultation, et entraîne une usure rapide des films. Les nouvelles techniques de numérisation des documents constituent sur tous ces plans une avancée considérable. Ces avantages ont conduit à penser que les nouvelles technologies allaient bientôt permettre de résoudre le problème de l'engorgement des bibliothèques : avec le numérique, on pourrait tout conserver en se débarrassant de l'original, trop encombrant, pour n'archiver que son image, bien plus économique en espace, facile à dupliquer et disponible pour une communication instantanée. Quitte, pour le lecteur à opter, s'il le souhaite, pour une rematérialisation du texte, en demandant un tirage de cette image sur papier. C'est une des options considérées comme les plus probables pour le stockage des textes des décennies à venir qui se présenteront sans doute, dès l'origine, sous forme numérique. Mais cette hypothèse n'est pas applicable au patrimoine ancien.
Le silicium pour la communication, le papier pour la conservation
La conversion de l'ancien patrimoine papier en patrimoine numérique pose encore de nombreux problèmes. L'opération de numérisation elle-même représente une tâche considérable : il faudra des dizaines d'années, à un rythme accéléré, et avec des dispositifs massifs, pour numériser les centaines de milliards de pages qui composent le fonds de notre tradition écrite. D'autre part, en passant de l'objet à sa reproduction, il est clair que la déperdition d'informations n'est pas négligeable : même reproduit en millions de couleurs, le simulacre du livre n'est pas son double exact. Comment restituer l'ouvrage lui-même, dans la totalité qui a fait sens pour son lecteur, et qui comprend l'épaisseur des pages et du volume, son poids, son format, le grain et le filigrane du papier, etc. ? Beaucoup d'historiens du livre, comme Roger Chartier, insistent sur la valeur essentielle de cette dimension réelle du document : la bibliothèque a pour mission non seulement de conserver l'objet lui-même, le livre tel qu'il a été reçu et lu par les lecteurs de son temps, mais encore de permettre aux chercheurs l'accès à cet original. Ce qui est vrai du livre imprimé l'est plus encore du manuscrit. Dans tous les cas, le double numérique est un artefact ; il ne peut se substituer à l'original qu'il faut continuer à conserver et à pouvoir communiquer aux chercheurs.
Malgré sa fragilité, le document papier reste même indispensable pour des raisons de stabilité matérielle. Si le microfilm, en usage depuis 1930, s'avère un support[...]
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Écrit par
- Pierre-Marc de BIASI : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de l'Université, docteur en sémiologie, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
Classification
Média
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