- 1. La courbe historique du maoïsme
- 2. L'activisme maoïste, entre traditions et agitation urbaine (1913-1920)
- 3. Apprentissage de la politique (1921-1927)
- 4. La rupture avec l'horizon urbain (1928-1935)
- 5. L'exercice avant la conquête du pouvoir (1936-1945)
- 6. Le bond vers le Grand Bond en avant (1946-1958)
- 7. La retombée de la parabole maoïste (1959-1976)
- 8. « Post mortem » : un héros national
- 9. Bibliographie
MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976)
L'exercice avant la conquête du pouvoir (1936-1945)
Cette victoire clôt l'ère de son ascension. Elle ne donne pas le pouvoir dans le parti à un rebelle romantique justifié par la Longue Marche, mais à un homme d'État, dont la stratégie révolutionnaire est désormais acceptée par une large coalition de dirigeants venus d'horizons différents, parce qu'elle s'intègre à une perspective politique convaincante, centrée sur la Chine dans son ensemble, en tant que nation souveraine, et non plus sur quelques microcosmes isolés. Ce tournant, défendu en 1938 contre Wang Ming, a été pris dès 1936. Les circonstances ont favorisé l'évolution de Mao, en rendant concomitantes sa réconciliation avec la perspective étatique et son accession au pouvoir suprême (acquise dès avant que le VIIe congrès du P.C.C. ne lui décerne le titre de président du comité central, en 1945) : il peut accepter un État qu'il fabrique à sa façon. Liu Shaoqi, venu du communisme urbain, le seconde à la tête de l'équipe qui va fonder la République populaire et dont les déchirements, au lendemain du Grand Bond, provoqueront la révolution culturelle.
Devenant Staline en Chine, y compris à travers le culte de sa personnalité qui est inauguré à Yan'an, Mao fonde un régime qui peut d'autant mieux s'identifier au modèle stalinien qu'il est autonome et s'écarte de la voie russe en vertu de sa conception activiste du pouvoir et de la révolution, comme du milieu rural où il opère. Mais cet écart n'a rien d'un supplément démocratique : le fameux « encerclement des villes par les campagnes » n'est pas une révolution plus proche du peuple et pure de toute contrainte.
La « pratique » au contact du terrain est une construction étrangère à l'univers des paysans. La critique du dogmatisme et du bureaucratisme des cadres fournit des cibles à l'intérieur du pouvoir lui-même sans que l'autorité soit mise en cause. Elle est, au contraire, renforcée, puisque la hiérarchie se trouve placée dans la position éminente du guide activiste solidaire des masses contre les formes aliénées du pouvoir. L'antiélitisme, l'anti-intellectualisme déstabilisent les écrivains et les artistes qui affluent à Yan'an, telle la starlette Jiang Qing, qui restera jusqu'à la fin l'épouse officielle de Mao. Le langage volontiers scatologique de celui-ci signe sa différence, car lui seul s'arroge cette liberté de ton, tout comme il se réserve la théorie des notions clés (la pratique, la contradiction) ou l'ordonnancement de l'histoire du P.C.C. en fonction de déviations par rapport à sa ligne. Ce ton et ce style de pouvoir inimitables, à distance aussi bien du village que de la ville, ne suffisent pas à fusionner l'ensemble sans recourir à la contrainte. Les campagnes de masse imposent les objectifs prioritaires du parti aux paysans, la rectification fixe la norme pour les cadres et les intellectuels, le goulag chinois ouvre ses camps. Le « mouvement de rectification », qui bat son plein à Yan'an de 1942 à 1944, parachève la maoïsation.
Mais pour imposer, normaliser, réprimer, ne faut-il pas des structures de pouvoir que le P.C.C., reparti de rien, ne peut édifier sans une mobilisation populaire ? Le succès du maoïsme est d'avoir réussi à provoquer cette mobilisation par un transfert de domination. Son échec simultané est d'y être parvenu sans dissoudre celle-ci dans celle-là. L'action collective reste son maître mot, mais l'organisation prend le pas sur l'autonomie des forces sociales, il est vrai défaillantes. La minceur de la modernité chinoise n'a fait que renforcer le tropisme du pouvoir. Mao développe le sien dans un contexte de sous-développement : sous son vernis de rusticité, le produit fini apparaît comme la version laborieuse et fignolée des techniques bolcheviques.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Yves CHEVRIER : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directeur du Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine, E.H.E.S.S.-C.N.R.S.
Classification
Médias
Autres références
-
AI QING [NGAI TS'ING] (1910-1996)
- Écrit par Catherine VIGNAL
- 2 092 mots
...par Zhou Enlai, parvient à traverser, sous un déguisement militaire, quarante-sept postes de contrôle du Guomindang pour atteindre la base de Yan'an. L'ascendant que Mao exerça sur lui fut irrésistible. Les poèmes qui le célèbrent nous le montrent bien. Quand Ai Qing voulut partir pour le front, Mao... -
ARMÉE - Doctrines et tactiques
- Écrit par Jean DELMAS
- 8 017 mots
- 3 médias
Mais l'arme nucléaire ne serait-elle qu'un « tigre de papier » ? Oui, affirmait Mao Zedong, face à la guerre du peuple. Bien avant Hiroshima, l'homme de la Longue Marche et de Yan'an avait défini les principes de la guerre révolutionnaire en Chine, en en soulignant la spécificité, fonction de quatre... -
ARMÉE ROUGE, Chine
- Écrit par Michel HOANG
- 1 016 mots
- 4 médias
« Le pouvoir est au bout du fusil » : quand Mao Zedong énonce, en novembre 1938, cette formule désormais célèbre, il parle en orfèvre. Il fait la guerre à Tchiang Kaï-chek depuis plus de dix ans. Il lui faudra encore combattre plus d'une décennie pour prendre le pouvoir en 1949. En guerre...
-
CENT FLEURS LES
- Écrit par Michel HOANG
- 944 mots
C'est en mai 1956 que le président Mao Zedong énonce sa formule désormais célèbre : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent. » Ce slogan d'expression très classique fait référence aux « cent écoles », dénomination donnée par le philosophe taoïste Zhuangzi aux multiples...
- Afficher les 36 références