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MAQĀMA

Éclosion et fortune du genre

La genèse de ce genre reste obscure. Il est probablement le résultat d'une lente élaboration. Des éléments s'en trouvent dans la prose d'adab telle qu'al-Ǧāḥiẓ l'a illustrée, dans son Livre des avares (Kitāb al-Buẖalā'), avec l'observation des mœurs et des caractères de ses contemporains. On en trouve d'autres dans des récits brefs insérés dans les ouvrages de philologie ou les anthologies poétiques, historiettes introduisant quelque diversité dans des développements savants, où apparaît déjà ce personnage du pauvre Bédouin ou du vagabond dont les répliques ou les vers étonnent par leur qualité. Au cours du iiie siècle de l'hégire, cette sorte de conte connaît de plus en plus de faveur et les auteurs prennent soin de les composer avec plus de rigueur. L'attention apportée au cadre choisi, à la nature du héros mis en scène et au style a dû mener à la maqāma.

Ce genre répond parfaitement au goût d'une élite raffinée, aimant se réunir pour converser en des salons élégants, friande de concetti et d'anecdotes charmantes, pleines d'humour ou instructives. La maqāma offre tout cela : vérité d'un personnage saisi sur le vif, discours édifiant propre à faire réfléchir, drôlerie d'une situation comique, et surtout démonstration d'un virtuose de la langue assuré par cela seul de soulever l'admiration. La brièveté du texte convient enfin à ces échanges spirituels et divertissants.

La maqāma, apparue sous sa forme dans le premier quart du xe siècle (ive s. de l'hégire), trouva son maître avec Aḥmad al-Hamaḏāni, dit Badi‘ az-Zamān (968-1008), écrivain attachant, plein de séduction et d'élégance, qui passa toute sa vie dans les cours et salons de l'est de l'empire. Des quatre cents séances environ qu'il écrivit, il en est parvenu cinquante-deux. Un récit fermement organisé qui se déroule dans un cadre décrit avec bonheur, une langue très élaborée mais vivante et alerte ont valu à son œuvre un juste renom. Le trait est vif, l'observation adroite et le personnage central, nommé ici Abū-l-Fatḥ al-Iskandarī, est bien campé. La verdeur de ses reparties, la qualité de ses impromptus poétiques, l'alacrité de ses jugements le rendent des plus sympathiques.

Séances d'al-Harîrî - crédits :  Bridgeman Images

Séances d'al-Harîrî

Dès lors, la « séance » va connaître une longue fortune et l'on dénombre près de quatre-vingts auteurs qui s'y consacrèrent. Celui qui retint la postérité comme l'un des grands écrivains arabes fut al-Ḥarīrī (1054-1122). Et pourtant cet imitateur d'al-Hamaḏānī a influé d'une façon néfaste sur l'évolution à venir. Chez lui, le récit est secondaire, la peinture des mœurs et des caractères accessoire. Son personnage de bohème, Abū Zayd de Sarūǧ, pourtant imité d'un modèle vivant, n'est plus introduit que pour tenir de beaux discours. Là réside tout l'intérêt de ces séances : la richesse inépuisable du vocabulaire, la maîtrise incomparable de la langue permettent au philologue qu'était al-Ḥarīrī de déployer une virtuosité verbale qu'imiteront tous ses successeurs. Son ouvrage deviendra un texte classique proposé dans tous les programmes d'enseignement.

Lamaqāma va servir un peu tous les desseins. Elle est parénétique chez al-Ġazzālī (1058-1111), az-Zamaẖšarī (mort en 1143) et Ibn al-Ǧawzī (mort en 1200), qui mettent dans la bouche du héros des exhortations pieuses et des admonitions, recueillant ainsi une vieille tradition de l'adab qui trouve ici une forme propice, par son organisation, au prône moralisateur. Elle se fait médicale chez Ibn Buṭlān (mort en env. 1068), juridique chez Ṣafā' ad-Dīn (mort en début xiiie s.), littéraire chez Ibn Šaraf al-Qayrawānī (1000-1067) qui l'utilise pour ses Questions de[...]

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Séances d'al-Harîrî - crédits :  Bridgeman Images

Séances d'al-Harîrî

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