MAQUILLAGE
Longtemps rejeté aux marges de l'art, de la technique ou de la philosophie, le maquillage a, dans les dernières années du xxe siècle, acquis un statut autonome et indépendant, débarrassé des préjugés qui ont longtemps entaché sa pratique. Alors que le masque a toujours bénéficié d'une axiologie positive et fait l'objet de nombreuses études tant philosophiques qu'anthropologiques, le maquillage s'est trouvé, dès sa déritualisation, rejeté loin de la réflexion. Ce rejet est dû à plusieurs raisons : l'absence de conservation des fards anciens dans l'iconographie et la statuaire, la dispersion et la fantaisie des sources d'information, la « moralisation » du maquillage en raison de sa puissance d'illusion et d'artifice. En outre, sa distance avec le vrai alors même qu'il le mime ainsi que les effets pathologiques des produits utilisés ont maintenu cette pratique sous le boisseau. Discréditée déjà dans la Bible, la transmission de l'art des parures aux femmes par l'ange Azazel, chef des anges rebelles, place les fards du côté des ténèbres. Pourtant, la peinture corporelle et faciale est un geste universel, qui prend sens en référence à une théogonie, à des pratiques rituelles, sécularisées ou non, lesquelles témoignent de la Weltanschauung d'une civilisation. Certains affirment qu'il n'y pas d'identité, ni même de continuité entre le maquillage et les peintures rituelles. Le maquillage ne daterait que du xxe siècle, celui des mass media. C'est oublier l'histoire des pratiques éphémères des métamorphoses. Même si la référence ontologique ou religieuse s'est peu à peu évanouie comme un ancien rituel oublié que les femmes mimeraient sans se souvenir de son origine, le maquillage crée et ordonne un nouveau corps métamorphique et artistique qui se définit toujours comme une coupure avec l'Être, avec la Nature, et s'ancre dans la dialectique du caché-montré, de la séduction-répulsion en même temps qu'il est inextricablement lié aux inventions techniques, aux phénomènes politiques et sociaux et au développement économique d'une société.
Histoire
De la peinture rituelle au fard profane
À l'origine, un geste dont on peut dire qu'il serait contemporain des funérailles et qui a valeur de parabole : l'application d'une matière fluide d'origine minérale, végétale, animale ou humaine sur la peau selon une composition signifiante, marquant une coupure avec l'inorganique. Pour J. T. Maertens, il s'agit d'une coupure avec le corps-mère, avec l'Autre ou le Réel, c'est-à-dire avec tout ce qui est de l'ordre de l'objet et du vivant. Cette cérémonie du recouvrement marque la douleur et mime, grâce à la cendre ou au barbouillage, l'analogie de l'ensevelissement du défunt, mais aussi son altérité par rapport au cadavre. En soulignant la différence entre le sujet et l'objet, le barbouillage dénote également la différence avec la divinité, même si les peintures utilisées sont les mêmes que celles qui servent à peindre les statues des dieux.
Dès les civilisations de la Mésopotamie, on trouve trace de matières premières existant à l'état naturel et qui seront employées pendant des siècles : le blanc de céruse ou de craie, le rouge végétal ou minéral, le noir de fumée ou de galène qui, en Égypte, « rend les yeux parlants ». Les peintures ont un sens rituel, mais aussi une fonction expressive et esthétique, le rajeunissement ou le camouflage des rides étant déjà une préoccupation.
Durant l'Antiquité, on peut néanmoins distinguer deux époques : la première où le fard est lié à une théogonie comme en Égypte ; la seconde où il devient une pratique séculière, mondaine et perd tout ancrage avec le religieux comme en Grèce ou à Rome.[...]
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Écrit par
- Dominique PAQUET : docteur en philosophie, écrivain
Classification
Médias
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