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MAQUILLAGE

Mise en signe et mise en scène

Philosophie du maquillage

Associé à partir de la philosophie grecque à l'art de la toilette et considéré par Platon comme une dévaluation de l'art du corps, puis voué aux gémonies par le christianisme en raison du verset « Dieu a fait l'homme à son image, le maquillage », symbole du diable, a tardé à se constituer comme une pratique rituelle ou artistique qui en aurait fait un objet d'étude. L'anthropologie se consacre aux pratiques rituelles, mais laisse de côté le fard, sans doute aussi parce qu'il s'inscrit dans un contexte privé, puis, dès le milieu du xixe siècle, avec la naissance de l'industrie cosmétique, se trouve lié à la société marchande. Pourtant, le maquillage constitue bien une production, ce que souligne son étymologie, l'accession d'un visage nu à un visage peint, une création. Il est aussi un acte praxique, c'est-à-dire une manière de se situer comme sujet dans le monde et de reformuler les relations que le sujet entretient avec le monde. Praxis, le maquillage est aussi phronesis, prudence, habileté dans l'acte, disposition dans laquelle on s'adapte au temps pour agir sur l'objet, mais aussi techné et poiesis, savoir-faire, efficacité, transformation adéquate des matériaux en vue d'une réalisation. Se maquiller ouvre le visage à une production illimitée de simulacres qui n'a rien à voir avec les parures animales. À la différence des techniques du corps définies par Marcel Mauss, le maquillage occidental n'anticipe pas sur une spécificité ethnique ou territoriale, mais plutôt sociale, tout en se définissant, pour certaines pratiques spécifiques comme la peinture faciale, comme une pratique artistique à finalité idéale qui reflète les possibilités, les modalités, les contradictions, les fantasmes d'une société.

En raison de son adhérence à la peau et même de sa pénétration, le maquillage brouille les frontières entre l'intérieur et l'extérieur du corps et semble dissoudre les limites entre le corps et le monde. L'une des manifestations de cette viscosité essentielle apparaît dans l'identification du sujet maquillé à la forme que représente le maquillage, même si cette métamorphose se traduit sous le concept trivial de changement de personnalité. Le maquillage devient un passeport pour un « autre état », en même temps qu'il se trouve pris dans des significations symboliques liées aux orifices du visage. En effet, les traces les plus sensibles du fard se rapportent aux yeux que l'on souligne, à la bouche que l'on peint pour les rendre plus expressifs et plus lumineux, car on ne peut séparer l'analyse du maquillage de l'histoire de l'éclairage urbain et domestique. Mais aussi pour en souligner la séduction-répulsion. L'antimoine égyptien n'avait pas qu'un pouvoir soignant ou expressif, il servait à susciter les larmes qui rendaient les yeux plus brillants. Aujourd'hui, le gloss repulpant mime une salive aseptisée, en même temps qu'il fait revivre de manière éphémère une bouche de jeune fille gonflée de désir. Se maquiller devient le moyen de rester apparemment jeune, mais aussi de limiter les souillures des fluides intérieurs en les esthétisant. C'est ce qu'ont bien compris les punks qui, dès la fin des années 1970, maculent de mascara leurs yeux, de minium dégoulinant leurs lèvres dans un antimaquillage, et qui, en trouant leurs oreilles, leur nez et leur bouche de trombones et d'épingles, dénoncent la violence faite par la société aux corps humains et leur inféodation à un modèle marchand.

Cependant, le fard semble parer une nudité du visage qui s'apparenterait à un manque à être. Il tente de saisir l'essence et d'en fixer la représentation, alors qu'il ne fixe que l'écho d'une présence perdue. Il n'annihile[...]

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<it>Marie-Adelaïde de France, dite Madame Adelaïde</it>, J.-M. Nattier - crédits : AKG-images

Marie-Adelaïde de France, dite Madame Adelaïde, J.-M. Nattier

Maquillage, opéra chinois - crédits : Blue jean images/ Getty Images

Maquillage, opéra chinois

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