MARABOUTISME
Le mot « marabout » vient de la prononciation dialectale (mrabot) de l'arabe classique murābit qui désigne l'homme vivant dans un ribāṭ (couvent fortifié). Au pluriel, al-murābiṭūn, a donné Almoravides (dynastie qui régna sur le Maghreb et l'Espagne musulmane aux xie et xiie siècles). La signification du terme « marabout » résulte de l'évolution même qu'a subie le ribāṭ dans l'histoire musulmane d'Orient et d'Occident. Mais il s'est chargé, surtout en Afrique du Nord, de sens et de valeurs diverses, car le maraboutisme est une réalité complexe dans laquelle ont conflué, d'une part, des idées mystiques nées du sūfisme, des mouvements politico-religieux comme celui des chorfa au Maroc, des idéaux messianiques issus de l' islam shī‘ite, comme celui du mahdisme, et, d'autre part, des pratiques populaires superstitieuses, voire magiques, où se retrouve l'influence de vieilles croyances et de vieux cultes antéislamiques. Le culte des saints (awliyā', pluriel de wali : « ami de Dieu ») qui caractérise le maraboutisme va d'une conception très spirituelle des rapports de l'homme avec Dieu jusqu'à la thaumaturgie la plus grossière ; les exercices des confréries vont de l'oraison la plus haute aux exhibitions, aux transes et aux états hystériques les plus suspects. Comme le dit E. Dermenghem, le mot « marabout » a fini par s'appliquer « à la fois au saint vivant ou au saint enterré, au monument qui abrite sa tombe, aux successeurs du saint, aux objets, arbres, animaux plus ou moins sacrés, pratiquement à toutes les catégories du sacré ».
Du ribāṭ à la zāwiya
La racine du mot ribāṭ signifie « lier ». Il s'agit primitivement d'un endroit où l'on tient attachés les chevaux prêts à être montés. On lit dans le Coran(viii, 60) : « Préparez contre eux (les infidèles) ce dont vous pouvez disposer comme relais de chevaux (ribāṭ al-khayl). » Le terme s'est donc trouvé en relation avec la guerre sainte ( djihād) et a désigné le lieu de rassemblement des troupes (camp retranché), puis une forteresse, point de départ des attaques ou point d'appui défensif sur les frontières. Les mots ribāṭ et murābiṭ ont toujours gardé une relation avec l'idée de la guerre contre l'infidèle. Mais le djihād a dans l'islam une très haute valeur religieuse : il signifie l'offrande que fait le fidèle de sa vie et de ses biens pour la cause de Dieu, et celui qui est tué dans cette lutte sainte meurt martyr. Ce fut donc un acte de piété que de fonder des ribāṭ, et plus encore d'y venir servir. Longtemps il s'est agi de volontaires qui ne faisaient que des séjours temporaires : ils se préparaient techniquement et spirituellement au combat « dans la voie de Dieu ». Tandis qu'en Occident la lutte contre les chrétiens, d'une part, et les tribus païennes du Sud, d'autre part, conservait au djihād une actualité qui dura du xiie au xvie siècle, en Orient, les infidèles n'étant plus un danger, on vit le caractère religieux du ribāṭ s'accentuer, sans doute sous des influences venues d'Iran, terre d'élection des mystiques. Le ribāṭ devient de plus en plus un couvent et se confond avec la khānaqāh ou la takya persanes. L'institution se répandit vers l'ouest. Il y eut aussi création des zāwiya (« angle ou coin d'une maison »). Au début, la zāwiya semble n'avoir été que le nom donné à une rābiṭa (mot de la même racine que ribāṭ, mais qui ne se confond pas tout de suite avec lui, et qui signifie « ermitage où se retire un « saint » avec ses disciples »). Très vite, les applications de ribāṭ, rābiṭa et zāwiya se recouvrirent. C'est alors que le mot murābiṭ (marabout) prit l'importance et l'extension[...]
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Écrit par
- Roger ARNALDEZ : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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