MARABOUTISME
L'élément mystique
Le sūfisme s'est développé en face de l'islam officiel des juristes (fuqahā') et de l'administration califienne, souvent même contre lui. Ses adeptes prétendent remonter au temps du Prophète, soit par les deux premiers califes, Abū Bakr et ‘Umar, objets d'une particulière vénération, soit surtout par ‘Alī, gendre de Mahomet, époux de sa fille Fāṭima, père de Ḥasan et de Ḥusayn, personnages sacrés par qui, aux yeux des shī‘ites, se transmet une lumière, source de la connaissance initiatique (ma‘rifa) des « secrets » divins (asrār). Les croyances shī‘ites ont joué un rôle déterminant dans la conception et l'organisation de la vie mystique. L' imām, descendant du Prophète, est le détenteur de la vérité cachée au-delà de la vérité manifeste de la Loi ; il peut transmettre, par délégation, et sa science et le pouvoir de la dévoiler aux postulants. Les initiés, à leur tour, initient leurs disciples. Il se constitue ainsi, au long des siècles, des chaînes de transmetteurs des mystères, suite continue de maître à disciple, qu'on appelle isnād initiatique. Dans cet isnād, on trouve, entre autres, après ‘Alī, des mystiques importants tels que Hasan al-Baṣrī (mort en 772), Ma‘rūf Karkhī (mort en 813), Sarī al-Saqaṭī (mort en 867) et surtout Djunayd (mort en 910). En effet, les sūfīs, qui furent peut-être isolés au début, ne tardèrent pas à se grouper pour vivre en cénobites dans des ribāṭ dont on signale l'existence en Orient dès le iie siècle de l'hégire. Les relations de maître à disciple se précisent et font l'objet d'une véritable règle de noviciat. L'idée essentielle est que, pour progresser dans la vie mystique (ṭarīqa), il est indispensable d'avoir un guide auquel on doit une obéissance passive absolue et que l'on doit croire aveuglément. Car, par la formation et la délégation qu'ils ont reçues, ainsi que par leur piété personnelle, ces maîtres (shaykh [ cheikh] en arabe, pir en persan, c'est-à-dire vieillard, cf. en grec presbuteros) sont des amis de Dieu, des « saints » qui très vite apparaîtront non seulement comme des initiateurs spirituels, mais comme des protecteurs temporels. Néanmoins, avant de tomber dans les superstitions populaires, cette idée s'est traduite, au niveau de la pensée ésotérique, par l'établissement d'une hiérarchie, qui varie dans le détail d'une école à l'autre, mais au sommet de laquelle se trouve le Ghawth (le « Secours »), qui prend sur lui la peine des hommes, le Qutb (le « Pôle ») autour de qui tourne toute la direction des affaires de ce monde. Les saints (awliyā'), au sens technique du mot, sont au bas de cette hiérarchie.
Chaque école de sūfīs se caractérise par l'enseignement et la méthode d'élévation de l'âme vers Dieu (ṭarīqa). Le progrès pratique sur la voie mystique s'accomplit par des exercices greffés sur le culte que la Loi impose, surtout sur les cinq prières obligatoires : toutes sortes de pratiques surérogatoires s'y ajoutent, lectures du Coran, invocations, rak‘āt (élément de la prière canonique faite de gestes, de postures et de formules consacrées) supplémentaires, récitation répétée (cent fois par exemple) de la shahāda (profession de foi en Dieu et en son Envoyé), des noms divins, des prières sur le Prophète, etc. Cet ensemble de pratiques, dont l'agencement caractérise chaque ṭarīqa, porte le nom général de wird. Quand l'aspirant a reçu de son maître le wird, c'est qu'il a été initié à la ṭarīqa, encore que le wird ne soit pas l' initiation, laquelle comporte un enseignement des vérités transmises selon l'isnād initiatique, et surtout exposées par le fondateur de la confrérie, dans un « testament » ([...]
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Écrit par
- Roger ARNALDEZ : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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