MARABOUTISME
Islamisation des anciens cultes
Dans l'évolution du maraboutisme, l'influence des vieilles croyances et pratiques berbères est considérable. Fondamentalement, il faut noter la croyance aux génies : ils se tiennent près des sources, dans les arbres et les grottes, prennent la forme d'animaux, s'attachent aux pierres. Nombreux sont, au Maghreb, les tas de pierres (kerkour) qui inspirent encore des sentiments de vénération ou de crainte. Le passant jette un caillou (radjm) sur ces vestiges, sans pouvoir donner une explication de son geste. Vilfredo Pareto a montré que là où la véritable raison d'un rite ancestral a été oubliée, la légende intervient pour l'expliquer en utilisant des idées plus modernes. C'est ainsi que le vieux fonds berbère a été islamisé, grâce à des légendes inspirées des croyances musulmanes, et, sous ce couvert, le passé préislamique survit, non sans altérer plus ou moins profondément la foi coranique. Remarquons pourtant que l'islam, dès ses débuts, a intégré bien des éléments de la civilisation de la Djāhilīya, période antérieure à la révélation de Mahomet. Il croit aux génies ( djinns) ; et tous les rites du pèlerinage à La Mecque sortent de l'Arabie antique : la circumambulation autour de la Ka‘ba où se trouve la Pierre noire, le lancement de cailloux (ramy) sur une djamra (tas de pierres consacré), la source Zemzem, etc.
Il était donc facile d'islamiser de même les rites berbères. La visite pieuse (ziyāra) au tombeau du Prophète sert de modèle à celles qu'on fait aux tombeaux des saints. Les tas de pierres seront considérés comme indiquant des tombes, réelles ou supposées. Un pieux ermite viendra vivre là, y sera enterré. Ses disciples et ses dévots élèveront une qubba (coupole) au-dessus du tābūt où il repose ; ils construiront un oratoire, une salle de réunion, des cellules pour eux et leurs hôtes, et cela aboutira à la zāwiya. L'arbre sous lequel le saint homme trouvait de l'ombre, la source où il se désaltérait deviennent sacrés. Le marabout a exproprié les génies ; mais il garde leurs fonctions. C'est ici que se fait la jonction entre les croyances superstitieuses et les spéculations des sūfīs sur la hiérarchie mystique. De même que le Ghawth, le Qutb et leur suite jouent un rôle dans le gouvernement divin de l'univers et protègent les pieux croyants, de même que les génies viennent en aide à ceux qui savent les évoquer, de même, faisant la liaison entre les deux, les marabouts ont une baraka qui leur permet de faire des miracles de thaumaturges (karāmāt), en faveur de ceux qui leur font des offrandes requises au cours de leur ziyāra, car ils ont reçu de Dieu le pouvoir de disposer à leur volonté des forces naturelles (c'est le taṣarruf). Vivants ou morts (et s'ils sont morts, l'offrande se fait à leur successeur, ou au muqaddam, préposé à la garde du tombeau), ils ont le don de guérir les maladies du corps et de l'âme, d'éloigner le mauvais œil, d'assurer de bonnes récoltes, la reproduction du bétail, etc.
C'est à ce niveau que les anciennes croyances et pratiques subsistent avec le maximum de pureté : sacrifices de coqs, de moutons, de taureaux noirs ; à la zāwiya des Banī ‘Arūs, tribu maraboutique (cf. infra), il y a une guelta (bassin, mare) où les malades plongent leurs pieds après les avoir recouverts de pâte à pain ; les tortues et les poissons sacrés viennent les mordiller en mangeant la pâte, et cela les guérit : ici le culte maraboutique n'a pu effacer les rites antérieurs ; citons encore les guérisons par « incubation » (déjà connues des Grecs et des Romains), qui se pratiquent dans les grottes où l'on vient dormir plusieurs nuits (souvent trois), procédé qui s'appelle en arabe istikhāra. Une coutume qui remonte également[...]
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Écrit par
- Roger ARNALDEZ : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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