CHARPENTIER MARC ANTOINE (1643-1704)
Un tempérament dramatique
Charpentier a appliqué lui-même les Règles de la composition qu'il écrivit pour le duc d'Orléans, à savoir que toutes les licences et toutes les audaces sont permises en raison de l'indépendance des voix (quintes successives, octaves augmentées, dissonances sans préparation ni résolution, voire passages bitonaux comme dans le De profundis et dans le trio des rieurs des Fous divertissants). Aussi utilise-t-il avec un art consommé les modulations, les mélodies judicieusement ponctuées de silences, un chromatisme expressif. Suivant la trace de Guillaume Bouzignac, qui introduisit l' oratorio en France, il transpose dans un langage personnel tout l'acquis italien (Carissimi) en la matière (vingt-quatre histoires sacrées dont Extremum Dei judicium, Filius prodigus, Historia Esther, Josue, Judicium Salomonis, Judith sive Betulia liberata). On y admire le naturel du récitatif, l'ampleur de la mélodie, et le relief musical qui souligne les contrastes verbaux. À l'encontre de son maître, Charpentier développe les intermèdes instrumentaux et les passages (sinfonie et ritornelli) où s'accentue le langage dramatique de l'œuvre. C'est lui qui fixe les formes de cet oratorio à la française, qu'avaient déjà préparé Nicolas Formé, Antoine Boesset et François Cosset, mais il abandonne l'écriture monodique adoptée par ses contemporains Lully, Henry Du Mont, Delalande ou Jean François de Lalouette (1651-1728) ; avec lui, la musique sacrée s'engage vers la messe concertante avec instruments (symphonie), avec ou sans orgue. Il dote la messe de l'appareil orchestral du grand motet versaillais. Selon les disponibilités, son orchestration comprend flûtes, hautbois, bassons et cordes, avec orgue ou clavecin continuo, trompettes, basses de trompettes et timbales (« Marche du triomphe » du Te Deum à six voix, Magnificat où il surpasse Delalande dans le grandiose et la somptuosité).
Son tempérament dramatique éclate partout dans ses compositions, qu'elles soient religieuses ou profanes, chaque fois que le texte lui suggère une situation contrastée. Il en est ainsi dans Les Arts florissants, tantôt désignés comme « opéra », tantôt comme « idylle en musique » par Charpentier lui-même, qui met en scène un conflit entre les beaux-arts – Musique, Peinture, Poésie, Architecture –, que la Paix, affrontant la Discorde et les Furies, parviendra à harmoniser. Selon qu'il évoque les délices de la musique (par exemple, grâce à un procédé d'écho), les horreurs des combats (martèlement de notes répétées, écriture heurtée et violente) ou qu'il symbolise l'apaisement retrouvé grâce à l'action conjuguée des forces du bien (ainsi dans la chaconne et dans la sarabande), le compositeur varie à l'extrême ses effets avec une efficacité manifeste. Il construit son œuvre en véritable architecte des formes sonores, capable de concevoir un édifice ample et judicieusement proportionné – ce qui est loin d'être la qualité première de nombre de ses contemporains français. Les Arts florissants furent écrits pour la duchesse de Guise, qui entretenait en son hôtel du Marais un ensemble vocal et instrumental d'une quinzaine d'interprètes. Charpentier, qui ne dédaignait pas de se joindre à eux pour chanter, composa plusieurs œuvres pour cette formation (notamment La Couronne de fleurs, Le Misanthrope : dispute de bergers, la cantateOrphée descendant aux Enfers).
Charpentier innove également en matière d'instrumentation, rejetant la tradition qui fait jouer ensemble les familles aux sonorités semblables : hautbois et flûte (Troisième Leçon de ténèbres), orgue et clavecin (Josue), cromorne soliste et cordes (Judicium Salomonis), violons, flûte, trompette, musette, timbales, basson (Epithalamio), théorbe et clavecin (Sonate à huit[...]
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Écrit par
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
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