MARC AURÈLE (121-180)
Les « Pensées »
Les fameuses Pensées de Marc Aurèle (le titre de l'ouvrage attesté dans la tradition manuscrite est : À lui-même) semblent avoir été rédigées à la fin de sa vie : deux livres au moins ont dû être écrits pendant la campagne du Danube, l'un « chez les Quades, au bord du Gran » (c'est-à-dire dans l'actuelle Slovaquie), l'autre « à Carnuntum » (c'est-à-dire sur le Danube, dans l'actuelle Autriche). On peut les dater des années 172-173. Marc Aurèle ici n'écrit pas en latin, comme dans la correspondance avec Fronton, mais en grec.
Dans le premier livre, très différent des autres, il énumère tous les bienfaits, c'est-à-dire les bons exemples, les bons conseils, qu'il a reçus de ses parents et de ses maîtres. Ce texte jette une précieuse lumière sur les expériences personnelles de Marc Aurèle et sur son univers de valeurs, par exemple (I, 13) : « De Sévérus, j'ai reçu l'idée d'un État démocratique, régi selon l'égalité des droits et la liberté de parler, et d'une monarchie qui respecte avant tout la liberté de tous les sujets. »
Les onze livres qui suivent rassemblent des pensées isolées dont la longueur varie d'une ligne à une page. L'erreur de beaucoup d'historiens a été de considérer les Pensées comme un journal intime au sens moderne du mot, comme une « confession » dans laquelle l'empereur aurait exprimé au jour le jour ses impressions sur la vie. Sans doute, les Pensées donnent bien l'impression d'avoir été écrites au jour le jour, mais on peut y reconnaître facilement la pratique de divers exercices spirituels, codifiés par les stoïciens, qui recommandaient précisément de s'y exercer tous les jours par écrit (Épictète, Entretiens, I, ii, 25 et III, xxiv, 103). Les Pensées sont donc un précieux document sur la vie philosophique de Marc Aurèle. Selon les recommandations des stoïciens, il s'efforce tout d'abord de se remémorer le but fondamental de la vie, l'accord avec la nature, c'est-à-dire avec la raison, sous ses trois modes : la raison intérieure au cosmos, la raison intérieure à la nature humaine, la raison intérieure à l'individu humain. À la suite d'Épictète, Marc Aurèle définit à plusieurs reprises (par ex. VII, 54) ces trois aspects de la vie philosophique : critiquer nos propres représentations pour ne juger que conformément à la raison qui est en nous, agir avec justice à l'égard des autres hommes conformément à la raison immanente au corps social, accepter avec amour les événements que nous impose le destin, en nous conformant à la raison immanente au cosmos. Les Pensées sont, pour une très grande part, des variations sur ces trois thèmes fondamentaux. Mais on y trouve aussi d'autres exercices spirituels : l'examen de conscience, la préparation intérieure aux difficultés de la vie, la méditation des dogmes fondamentaux du stoïcisme, l'application de ces principes aux cas particuliers qui peuvent se rencontrer dans la vie de tous les jours.
Ce qui a fait le succès de l'œuvre de Marc Aurèle à travers les âges, c'est tout d'abord, précisément, son universalité : il s'agit d'un effort sans cesse renouvelé pour se libérer des préjugés courants, du point de vue égoïste et individuel et pour se replacer dans la perspective du cosmos et de la raison universelle. Mais c'est aussi son extraordinaire force d'expression. Fronton avait habitué son élève à chercher, pour exprimer sa pensée, les mots les plus frappants, les figures les plus fortes. La rhétorique de Fronton est mise ici au service de la vie philosophique. Pour décrire la réalité telle qu'elle est en elle-même, pour se pénétrer des principes qui doivent diriger sa vie, Marc Aurèle sait utiliser des formules qui, comme il le dit, « frappent au cœur ». Il en résulte une œuvre[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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