AYMÉ MARCEL (1902-1967)
Le campagnard et le citadin
L'œuvre de ce conteur s'articule autour de deux sortes de lieux (campagne et ville), deux regards portés sur le monde (réalisme et fantastique) et deux styles d'écriture (sérieux et malicieux). Ces six lignes de force, plus quelques hybrides, se combinent trois à trois pour donner une douzaine de genres différents, de La Table-aux-Crevés (réalisme sérieux campagnard) au Passe-Muraille (fantastique malicieux citadin). Douze climats suffisamment voisins pour composer un univers multiple mais cohérent, divers mais toujours bien reconnaissable.
Petit campagnard venu habiter à la ville, Marcel Aymé n'a jamais définitivement choisi entre le monde rural et le monde citadin.
Il faut cependant observer que le Paris de Marcel Aymé n'a rien de la capitale arrogante et mondaine que les écrivains à la mode décrivent niaisement : on n'en aperçoit que des aspects fragmentaires, généralement limités à deux ou trois quartiers qui pourraient s'élever dans n'importe quelle cité de moyenne importance. Ainsi, malgré certaines apparences, l'œuvre de Marcel Aymé ne s'articule-t-elle pas autour de l'opposition Paris-province, mais ville-campagne.
C'est probablement pourquoi ses personnages sont aussi proches les uns des autres. Les citadins de La Rue sans nom, d'Uranus, du Chemin des écoliers, des Tiroirs de l'inconnu conservent un peu de glaise à leurs chaussures, et peut-être quelques cousins dans une ferme franc-comtoise. Marcel Aymé considère et décrit ces hommes avec beaucoup de tendresse et de générosité. Il éprouve de l'indulgence pour leurs faiblesses. D'ailleurs, on ne rencontre pas beaucoup de « salauds » dans cet univers : ceux qui commettent de mauvaises actions sont plutôt des esprits naïfs et maladroits, emportés par un faisceau de circonstances qui les dépassent, et au nombre desquelles il faut mettre la passion amoureuse. Cette sympathie de l'auteur pour ses personnages ne va pas sans une souriante malice, on aurait presque envie de dire : au contraire. Au contraire, car c'est probablement le sourire que les humaines créatures lui arrachent qui désarme Marcel Aymé et qui le pousse à l'indulgence.
Cependant, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l'occupation allemande, le sourire de Marcel Aymé se crispa : il découvrit, non pas que les « salauds » existent (il le savait certainement déjà), mais qu'il fallait tout de même en parler. Uranus et Le Chemin des écoliers présentent une vision beaucoup plus noire, cruelle et désespérée de l'espèce humaine.
Cette vision désabusée, s'accompagnant de considérations pessimistes sur l'évolution politique des sociétés contemporaines, a fait rapidement juger Marcel Aymé comme un écrivain « réactionnaire », opinion qui ne résiste pas à un examen un tant soit peu attentif. Du « réactionnaire », Marcel Aymé ne possède ni le goût du pouvoir ni la sévérité. Anarchiste discret, il ne supporte aucune contrainte, physique ni morale, n'apprécie guère les technocrates et les financiers qui nous gouvernent, mais n'éprouve pas le besoin d'aller le crier sur tous les toits. Ce qui le rend douteux aux yeux d'une certaine « gauche », c'est qu'il n'accorde aucune confiance à ses congénères : estimant que les hommes sont responsables de leurs sociétés, et non pas le contraire, il ne croit pas qu'un changement de régime modifiera sensiblement les rapports sociaux.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques BENS : écrivain
Classification
Média
Autres références
-
URANUS, Marcel Aymé - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 048 mots
Si Marcel Aymé (1902-1967) doit surtout sa popularité à des récits où le merveilleux fait intrusion dans le quotidien, ou bien à des peintures truculentes de la vie paysanne, il fut aussi le chroniqueur lucide et acerbe de son temps. Travelingue (1941) retrace l'avènement du Front populaire ;...
-
CONTES DE FÉES
- Écrit par Marc SORIANO
- 394 mots
- 1 média
Récits de voie orale, souvent antérieurs à la civilisation latine ou grecque et se retrouvant sous forme d'adaptations dans la littérature écrite. L'expression contes de fées est plus spécialement réservée aux récits qui comportent l'intervention d'êtres surnaturels du sexe féminin,...
-
LE MONDE SELON TOPOR (exposition)
- Écrit par Nelly FEUERHAHN
- 1 168 mots
...avec Jacques Sternberg ou Bernard Pivot accompagnent ces différentes étapes . On y voit également Topor dire son intérêt pour le fantastique de Marcel Aymé, qui lui inspira cent vingt images publiées dans les œuvres complètes du romancier (1977). La superbe affiche allégorique pour le mois...