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BÉALU MARCEL (1908-1993)

Né en 1908 dans le Loir-et-Cher, Marcel Béalu a voué son existence à la littérature et trouvé le moyen de s'affirmer — et de subsister — en exerçant des métiers qui avaient rapport avec elle. Il s'occupa notamment de la librairie Le Pont traversé, mine d'éditions rares. De 1955 à 1971, il a dirigé avec René Rougerie la revue Réalités secrètes. Conseillé par des poètes comme Max Jacob, Jean Follain, Maurice Fombeure, il a su garder par ailleurs sa voix originale et son tour personnel d'imagination.

Le Béalu de la nuit, des difficultés existentielles et ontologiques s'est exprimé surtout dans trois recueils : Mémoires de l'ombre (1941, 1944, 1959, avec de nombreux inédits), L'Expérience de la nuit (1945), Journal d'un mort (1947). Les poètes surréalistes français, mais aussi Poe, Lewis Carroll et Franz Kafka lui ont préparé la voie. En partant de petits faits qui ont l'apparence du vrai, en tout cas du vraisemblable, il invente des contes-poèmes qui relèvent du rêve pur. On ne sait au juste à quel moment se produit le dérapage dans l'irréel. Ce brusque déplacement se retrouve dans le regard, dans le penseur, dans le style. Le « dormeur éveillé » voit tout à coup ce qu'il se refusait à voir : l'absurdité du monde telle que nous la vivons, immergés que nous sommes dans le pathétique, la naïveté, l'amour. Si nous résistons à l'épreuve, nous en restons marqués, un peu délirants et fragiles. L'influence de Kafka, qui dominait alors les lettres françaises, l'expérience de la vie quotidienne sous l'Occupation expliquent en partie cette sensibilité et cette coloration.

Dans le texte liminaire de Mémoires de l'ombre, Béalu révèle le mode d'emploi : « Chaque chose était une serrure, qu'il suffisait d'ouvrir. Un chemin derrière apparaissait, un petit sentier où s'égarer n'était pas sans danger. » Nous vivons dans un monde inconnu, rempli d'objets hostiles qui peuvent à tout moment nous attaquer. Partout la décrépitude et la ruine, formes symboliques de notre malaise intime et de l'horreur qui nous menace.

L'Aventure impersonnelle (1954) se présente comme une juxtaposition de contes-poèmes disposés dans un labyrinthe. On croit qu'on va se trouver, se retrouver, et c'est pour être confronté à l'innommable. « Voilà que je vous tue, voilà que je patauge dans mon propre sang. Qui vient au-devant de moi ? » L'Araignée d'eau (1948), contefantastique qui a établi la notoriété de Béalu, raconte l'amour fou d'une créature aquatique. Celui dont elle s'éprend lui inspire la force de ressembler à une fillette malingre, attendrissante, perverse, peut-être diabolique. L'homme, d'abord envoûté, répudie un être aussi compromettant. Il jette la fillette à la rivière, elle s'accroche à lui et l'entraîne au fond des eaux. C'est une variation moderne sur le thème de la sylphide, de l'ondine, de la créature ambiguë, qui est malheureuse et qui provoque le malheur de ce qu'elle aime. Cazotte, Hoffmann, La Motte-Fouqué, Heine et bien d'autres nous ont raconté les tribulations de ces couples mal assortis. Marcel Béalu y met tant de talent qu'il nous fait tout croire.

Ce ne sont pas les trois volumes de Mémoires, réunis sous le titre Le Chapeau magique (1980, 1981 et 1983), qui dévoileront les arcanes de L'Araignée d'eau, mais ils nous font mieux percevoir le lent apprentissage que l'écrivain fait de lui-même et de la poésie, et comment on atteint au « présent définitif ».

Le visage lumineux de Béalu est celui de l'amant qui, par instants, atteint une sorte d'éternité. Il aime la femme et toutes les femmes, qui ont su lui apporter ce dont il avait besoin : une tendresse, une sincérité, une manière de salut. Elles l'auront[...]

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