BEYER MARCEL (1965- )
Alors que dans les années qui suivent la chute du Mur de Berlin, on assiste à une migration de nombreux écrivains et intellectuels vers l'Ouest, Marcel Beyer, né en 1965 à Taiflingen (Bade-Württemberg), suit un chemin inverse : il quitte l'Allemagne rhénane dans laquelle il a grandi pour Dresde où il vit depuis 1996. « Je ne suis pas pour autant devenu un Allemand de l'Est, dit-il, je suis pris dans un entre-deux où je change constamment de perspectives, je ne peux plus revenir en arrière. » Marcel Beyer est considéré en Allemagne comme l'écrivain de la génération des quadragénaires dont l'œuvre reflète le plus précisément les expériences différentes qui ont structuré les sociétés est et ouest-allemandes. Il a passé son enfance à Cologne, où il a étudié la littérature allemande et anglaise. Il s'est d'abord fait connaître comme poète et auteur de courts récits en prose. Son premier roman Menschenfleisch (Chair humaine) paraît en 1991, suivi de Flughunde (1995[Voix de la nuit, 1997]), Spione (2000, Espions) et Kaltenburg (2008 [2010 pour l'édition française]) qui sont couronnés par plusieurs prix littéraires, dont le prix Hölderlin (2003).
Ressaisir le temps
L'œuvre littéraire de Marcel Beyer s'élabore autour d'un fil rouge : la capacité de l'écriture – et du langage – à dire le passé et sa fugacité. Chacun de ses romans ou de ses cycles de poèmes révèlent la recherche d'une forme adéquate à une approche constamment variée du récit du passé. C'est dans le roman que se déploie le plus précisément la complexité subtile de sa poétique. Révélé au grand public par le roman Flughunde, pour lequel il reçut le prix Bachmann à Klagenfurt, Marcel Beyer ne cesse d'interroger la mémoire allemande de façon singulière. Comme leur auteur, les protagonistes de ses romans sont de grands observateurs du monde : ainsi de Karnau, l'acousticien de Flughunde, ou de Kaltenburg, le zoologiste du roman éponyme. Karnau, à la fois passionné des sons humains et preneur de sons surdoué, collectionne des enregistrements, gravés dans la cire – réalisés tout au long des années brunes de l'histoire allemande –, et parmi eux quelques spécimens des plus effrayants, voire compromettants, qui évoquent sans équivoque des scènes de tortures. Kaltenburg – dont la biographie évoque celle de Konrad Lorenz – est un ornithologue célèbre qui entretient à grands frais une réserve d'oiseaux et un institut de recherche dans une jeune R.D.A. exsangue. Les deux romans ainsi que Spione (2000) posent la question des rapports que la politique entretient avec la science et la technique. En enregistrant les cris de jubilation des foules en délire lors des grands-messes du parti nazi ou les gémissements de douleur d'êtres torturés, Karnau sert le régime sans se poser la moindre question sur sa responsabilité. Kaltenburg, dont on fait connaissance au début du roman sous l'uniforme de la Waffen-SS, n'a pas davantage d'état d'âme. Autrichien, il choisit après 1945 le poste – et le statut alléchant – que lui offre la R.D.A., qu'il quittera quasi clandestinement quand elle ne lui permettra plus de poursuivre sa carrière à sa guise.
L'enfermement – psychique, géographique, idéologique – est un des thèmes récurrents de l'œuvre romanesque de Marcel Beyer. Kaltenburg, nous dit l'auteur, a écrit « un ouvrage très controversé par ses pairs, Les Formes premières de la peur, dans lequel il spécule sur la relation entre la peur et l'hallucination [...] sur la faculté humaine de s'échapper d'une situation sans issue dans un autre monde ». Les sons (Flughunde) comme les oiseaux (Kaltenburg) ne connaissent pas de frontières, pas plus les frontières géographiques, qu'historiques ou idéologiques. Ils se jouent[...]
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Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
Classification
Autres références
-
ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures
- Écrit par Nicole BARY , Claude DAVID , Claude LECOUTEUX , Étienne MAZINGUE et Claude PORCELL
- 24 585 mots
- 33 médias
...demeure un sujet littéraire dans les années 1990, sous la plume d'écrivains de la deuxième et de la troisième génération. Sans doute comme le suggère Marcel Beyer parce que ceux-ci se sont souvent demandé « ce qui se serait passé [s'ils] avaient vécu [à cette période] ou ce qui se passerait si les événements...