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BICH MARCEL (1914-1994)

La coïncidence n'est pas tout à fait anodine : le baron Bich est décédé dans la nuit du 30 mai 1994, la veille de la première assemblée générale qu'il ne présidait pas... Il avait en effet, un an auparavant, cédé les rênes de son groupe à l'un de ses fils, Bruno, non sans l'avoir “testé” et longuement préparé au métier de patron. Point final d'une vie tout entière consacrée à l'édification de l'empire familial, et dont la raison d'être s'était en quelque sorte éteinte, une fois la succession assurée... Marcel Bich restera l'une des figures les plus étonnantes du capitalisme français. Il laisse derrière lui une multinationale au chiffre d'affaires de 6,6 milliards de francs (1993), mais, surtout, une marque fétiche de l'après-guerre, symbole de toutes les transformations de la société de consommation. En quarante ans de management intuitif et autocratique, ce capitaine d'industrie très atypique a introduit les méthodes les plus modernes du marketing et de la publicité dans une entreprise marquée par un paternalisme désuet. Ce n'est que l'un des nombreux paradoxes du personnage... et de sa réussite.

Né à Turin, le 29 juillet 1914, d'un ingénieur italien et d'une mère française, Marcel Bich appartient à la noblesse savoyarde du xixe siècle. Élevé à Turin, à Madrid, puis, chez les dominicains, à Arcachon, il “monte” à Paris faire ses études (“math élem” et “philo”) au lycée Carnot, puis prépare une licence en droit à la faculté de Paris, tout en commençant à exercer divers “petits boulots” — preuve que la famille ne mène pas grand train à l'époque. Cursus correct mais sans brio, d'où date peut-être son mépris des grandes écoles, et de l'E.N.A. en particulier. Après avoir opté pour la nationalité française à sa majorité, puis accompli son service militaire dans l'aviation en 1939-1940, il rachète à la Libération une petite fabrique de stylographes avec un ancien collègue. Ils réunissent 500 000 francs de l'époque, qui constituent le seul capital jamais mis dans l'affaire Bich !

Le coup de génie date de 1953. Après avoir négocié avec l'inventeur du stylo à bille, le Hongrois Lazlo Biro, réfugié en Argentine, il perfectionne la formule et lance sur le marché le fameux stylo Cristal : un capuchon, une pointe, un tube transparent, le tout pour 50 centimes. La première campagne de publicité se déroule en novembre 1953. Le concept fondateur de l'entreprise est trouvé : le “jetable”. La cible : le grand public, qui fera la fortune du baron. La recette : le meilleur rapport qualité/prix. Quant au choix de la marque, il n'a pas demandé des trésors d'imagination, le patronyme du fondateur, amputé du “h” final, servant de nom à la fois à l'entreprise et à son produit phare. Bic devient vite un nom commun, au succès fulgurant : 10 000 stylos à bille vendus par jour la première année, 250 000 trois ans plus tard, 15 millions aujourd'hui, dans plus de cent soixante pays !

Dès le départ, Marcel Bich attaque les marchés étrangers et internationalise sa production. Pour infiltrer la zone sterling, il rachète, en 1957, l'entreprise Biro-Swan, qui lui ouvre 60 p. 100 du marché britannique, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. En 1958, il part à la conquête des États-Unis en acquérant 60 p. 100 des actions de Waterman USA. Il déchante vite, mais il s'accroche. Après avoir injecté au total 50 millions de francs, il finira par trouver sa place sur cet énorme marché.

C'est avec la même méthode, et la même ténacité, que le patron de cet empire de plus en plus tentaculaire décline progressivement toute la gamme du “jetable” : le briquet, en 1972, après avoir racheté la société Flaminaire (qu'il revendra peu après, préférant construire[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de sciences sociales, rédactrice en chef adjointe au journal "Le Parisien-Aujourd'hui".

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